Doctrine de l’Église chez les Pères de l’Église

Histoire de la Doctrine de l’Église

 

par J. N. Darby

 

Note Bibliquest :

  1.                   Cet ouvrage est la seconde partie de l’ouvrage global intitulé «L’Église du Dieu vivant, ou la Maison de Dieu, le Corps de Christ et la baptême du Saint Esprit». La première partie est déjà publiée par Bibliquest, dans la page «Sujets, Église ou Assemblée»

  2.                   1° édition française : 1860 — Certaines observations sur les événements présents doivent être adaptées en conséquence

  3.                   Les titres et sous-titres ont tous été ajoutés par Bibliquest

 

Tables des matières :

1     [Un espoir initial : trouver la doctrine de l’Église chez les Pères de l’Église]

2     [Le système papal vient d’ailleurs que des Pères — L’église catholique n’a jamais été universelle]

3     [Doctrine des Pères]

3.1      [Pères apostoliques]

3.1.1      [Barnabas]

3.1.2      [Clément]

3.1.3      [Ignace]

3.1.4      [Polycarpe]

3.2      [Pères de la génération suivante]

3.2.1      [Justin]

3.2.2      [Hermas]

3.2.3      [Irénée]

3.2.4      [Clément d’Alexandrie]

3.2.5      [Origène]

3.3      [Pères latins]

3.3.1      [Tertullien]

3.3.2      [Cyprien]

3.3.3      [Augustin]

3.3.4      [Jérome]

3.4      [Chrysostome]

4     [Doctrine et pratique de l’Église à partir de Constantin]

4.1      [Les vues de Rome — Hiérarchie d’Occident]

4.2      [Patriarches — Hiérarchie d’ Orient — Influence croissante de Rome]

4.3      [Le pape prince temporel — Le Grand Schisme]

4.4      [Grégoire le grand — Le système papal s’élève encore — Déclin puis maintien de l’église grecque]

4.5      [La Réforme]

5     [Résumé - Conclusion]

5.1      [Les points principaux sur la doctrine de l’Église, chez les Pères et dans les églises]

5.2      [Situation respective de la vérité et de l’erreur]

6     [Détails sur l’état de l’Église primitive]

6.1      [Sur le plan de la doctrine]

6.2      [Sur le plan des moeurs]

7     [L’élaboration du dogme de la suprématie papale]

 

 

1                    [Un espoir initial : trouver la doctrine de l’Église chez les Pères de l’Église]

En essayant d’accomplir la tâche que j’avais entreprise, de donner, au moins dans ses plus simples éléments, une vue historique de la marche progressive de la doctrine sur l’Église, l’Assemblée de Dieu, je me doutais, à peine, je l’avoue  de la pauvreté des ressources auxquelles je serais réduit une fois que j’aurais quitté le terrain de l’Écriture. Ma confiance dans les Pères, comme docteurs, n’était pas grande ; je les avais trop consultés pour cela. Mais je pensais que, sur le sujet de l’Église, je trouverais en eux, si non la vérité et la profondeur des enseignements de l’Écriture (c’eut été à la fois une injustice et un tort de s’y attendre), du moins une énergie de pensée et d’intelligence, qui, tout en coulant dans un canal creusé par la pensée de l’homme, et occupé d’un établissement terrestre des choses divines, s’élèverait cependant au-dessus des questions et des difficultés du moment, et se tiendrait à une hauteur d’où n’approcheraient pas les théories à la production desquelles ces difficultés passagères pouvaient donner lieu, et d’où les acteurs du moment chercheraient même à les renverser. J’estimais qu’on pouvait découvrir le procédé par lequel un état de choses corrompu et humain s’était revêtu des titres et des privilèges qui appartenaient à une création divine. Mes souvenirs de Tertullien (*), et encore plus de Cyprien (**), et de l’histoire ecclésiastique en général, colorés, peut-être, par l’habitude et par l’opinion générale, me conduisaient à le penser et à supposer qu’il existait, au commencement, chez les Pères, une intelligence simplement pratique de l’Église, comme on la voyait avant eux ; et qu’à cela avait succédé une corruption progressive, un usage plus large des Écritures maintenant réunies, et une application positive, qui fut bientôt habituelle ; et qu’à la fin on érigea en doctrine, des prérogatives divines à ce qui provient du manquement de l’homme, comme nous voyons la chose pleinement développée dans le romanisme. Mais les Pères sont pauvres, même dans l’erreur. En général, il n’y a rien dans leurs écrits qui relève la pauvreté de leurs préoccupations locales et occasionnelles : et lorsque la vie divine a saisi, comme en saint Augustin, quelques vérités profondes et bénies qui ne pouvaient pas s’allier avec la corruption, et capables de donner des vues plus larges, même sur les sujets ecclésiastiques, la corruption pratique était arrivée à un degré tel, que tout cela produisait une confusion qui a du moins la dignité morale de ne pas passer par-dessus le mal, ou d’empêcher qu’on y soit, chose pire, aveugle ou insensible au point de maintenir un système hiérarchique qui donne de l’importance au moi, ou que l’habitude a rendu respectable.

(*) En particulier de son livre : De prescriptione.

(**) De unitate.

Au reste, les Pères nous donneront leur propre histoire ; je vais la suivre rapidement, et avec elle les opinions des hommes qui agissaient en leurs jours.

2                    [Le système papal vient d’ailleurs que des Pères — L’église catholique n’a jamais été universelle]

Il faut chercher ailleurs le papisme actuel. En ce qui concerne le sujet que nous traitons, il a simplement fait usage des principes généraux qu’on trouve dans ces Pères et de passages apocryphes ajoutés à leurs écrits, pour faire triompher, par une politique habile, un système dont le résultat a été que les droits et les privilèges du christianisme ont été rattachés exclusivement à ce qu’il y a de plus constamment contraire à la vérité, à son esprit et à sa pratique, et que ce qui a la prétention d’être exclusivement l’Église de Dieu est le siège de la puissance de Satan. Quant à la catholicité, il est bon de se rappeler qu’elle est tout simplement une fable. De même qu’en Israël, lorsque la royauté se fut corrompue, le royaume se divisa : ainsi, quand l’Église professante fut entièrement corrompue et que les prétentions papales eurent pris un caractère précis et positif et furent devenues un fait, Dieu prit soin que l’Église cessât d’être catholique ; et le terme même de catholique-romain porte avec lui un cachet de mensonge pour quiconque connaît la portée des mots. Les prétentions de la papauté révoltèrent le patriarche grec. Cc qui établit Rome, détruisit la catholicité. Les églises les plus anciennes et la ville impériale constituèrent un corps en opposition avec elle. Ses prétentions et son influence politique s’accrurent. Sa résistance méchante et anti-scripturaire au pouvoir civil qui est ordonné de Dieu, et sa suprématie sur lui, la caractérisèrent avec plus de netteté comme le siège et le trône de Satan ; mais Rome ne fut jamais catholique. L’acte qui lui donna naissance, l’aurore de sa suprématie, détruisit pour toujours la catholicité. La providence de Dieu n’a pas permis que la corruption romaine devint catholique. Aujourd’hui la majorité des chrétiens de profession et les églises les plus anciennes sont en dehors de l’Église catholique, comme on l’appelle, c’est-à-dire universelle. Il n’existe pas d’Église catholique, c’est-à-dire, universelle. Les prétentions de chaque portion de la chrétienté à être une Église ou une assemblée de Dieu, doivent être jugées non par elles-mêmes, mais par l’Écriture, et alors c’en est bientôt fait d’elles, à moins que corruption et christianisme soient des choses identiques.

Mais je reviens à l’histoire de la doctrine.

3                    [Doctrine des Pères]

On peut diviser les Pères en trois classes : les Pères apostoliques, les Pères grecs et les Pères Occidentaux. Tous pouvons aussi distinguer les Pères Alexandrins, quoiqu’ils aient écrit en grec ; mais c’est à peine s’ils entrent dans la sphère de nos recherches, quoique l’un de ceux que l’on considère comme tels, appartienne à la classe des Pères apostoliques : je veux dire Barnabas, qui cependant ne nous fournit aucune lumière sur notre sujet.

3.1   [Pères apostoliques]

Barnabas, Clément, Ignace, Polycarpe et Hermas sont les Pères qu’on nomme communément les Pères apostoliques ; mais depuis la publication du canon de Muratori, la supposition d’Origène que le dernier est l’Hermas dont Paul fait mention, n’est soutenue par personne ; c’est pourquoi j’en parlerai après Justin : Justin et Irénée sont ceux qui ont suivi le siècle apostolique. Tertullien, Cyprien, et enfin Jérôme et saint Augustin peuvent nous donner la doctrine des Latins ; et Chrysostome, instar omnium, les vues des dernières églises orientales ; tandis qu’Origène et Clément nous donnent le christianisme philosophique d’Alexandrie ; et Léon et Grégoire le Grand les vues de Rome sur la matière.

Quant à une vue spirituelle, une vue élevée de l’Église de Dieu, telle que nous la voyons décrite dans l’épître aux Éphésiens, ou même touchant sa manifestation et son développement sur la terre par la puissance du Saint Esprit, comme la présente la 1° épître aux Corinthiens, il ne faut pas l’attendre d’aucun d’eux. Ce qu’on y trouvera, c’est la déclaration qu’on ne peut être sauvé hors de l’Église, et que si un homme n’appartient point au corps il n’a point de part avec la Tête ; et tout cela appliqué à un vaste corps corrompu, hiérarchiquement gouverné sur la terre, en vue de condamner tous ceux qui ne se soumettaient pas à lui, et tous ceux qui s’en séparaient, par conscience ou par volonté propre. Voilà ce que l’on trouve dans les Pères à mesure que surgissent des schismes qui proviennent soit de la volonté, soit d’une conscience tourmentée par l’horrible, corruption qui caractérisait l’Église. Mais la pensée de la présence du Saint Esprit animant des membres vivants, ou déployant les richesses et la plénitude d’une bénédiction qui découle d’une union vivante, ne traversa jamais leur esprit.

3.1.1       [Barnabas]

Voyons d’abord les Pères apostoliques. Barnabas, comme j’en ai fait la remarque, ne nous fournit aucune lumière. Son but est de spiritualiser Moïse. Toutes les ordonnances de la loi sont simplement des figures ; on avait même absolument tort de prendre la circoncision à la lettre.

3.1.2       [Clément]

Clément ne nous aide guère davantage. Il allègue la hiérarchie de l’Ancien Testament comme motif pour l’ordre dans les services chrétiens ; mais il n’applique pas l’analogie à la hiérarchie chrétienne. Cependant nous voyons en lui, combien la pensée de l’Église était déjà descendue au-dessous de l’active sollicitude de l’Esprit de Dieu, qui se servait en contraste de ces analogies pour élever les pensées des saints de la terre au ciel et aux choses célestes, ainsi que nous le trouvons dans l’épître aux Hébreux, dont le but est de détacher de tout le hiérarchisme terrestre juif, et de montrer son accomplissement en Christ, dans le ciel, auquel appartiennent ceux qui sont participants de la vocation céleste. Cela est d’autant plus remarquable, que Clément était très familier avec cette épître qu’il cite, et qui, au moins pour sa forme actuelle en grec, lui est attribuée par quelques-uns (*). Son épître, la meilleure de celles des Pères apostoliques, sert à montrer le rapide et total déclin de l’intelligence spirituelle, qui suivit le départ de l’Apôtre des Gentils. Elle nous aide à comprendre l’état de l’Église, quoiqu’elle n’enseigne rien, en fait de doctrine, à son sujet. C’est une aimable tentative pour rétablir la paix dans l’Église de Corinthe où l’on avait chassé quelques-uns des anciens ; mais tout emploi céleste, spirituel et élevé des formes juives lui demeure étranger ; et quoiqu’elle cite l’épître aux Hébreux, elle nous ramène à la terre, d’où cette épître nous avait élevés au ciel. Je me suis beaucoup arrêté sur cette considération, parce que c’est la véritable clef pour tout ce qui suit.

(*) L’épître attribuée à Clément est écrite au nom de l’Église de Rome. Néanmoins, plus tard, pendant trois ou quatre siècles, l’Église romaine ne recevait pas encore l’épître aux Hébreux.

3.1.3       [Ignace]

Maintenant, Ignace attire notre attention et nous présente quelques éléments historiques importants. Et d’abord, quelle preuve du penchant des orthodoxes de ces temps-là à commettre des fraudes pieuses ! Quels travaux ont dû s’imposer les sagaces Ushers, les très orthodoxes, et tant lus Pearsons, les judicieux Daillés, pour débrouiller ce qui est authentique de ce qui ne l’est pas, dans les écrits de l’Évêque-martyr. Nous avons des faux reconnus de tous, des éditions plus longues interpolées, de plus courtes vaillamment défendues, et ensuite les manuscrits syriens allégués en preuve que, des huit épîtres admises par plusieurs comme authentiques, cinq sont fausses aussi, et que la plus grande partie des trois authentiques a été interpolée de la main du faussaire. Voilà un pauvre fondement pour un édifice ! C’est une chose assez curieuse et propre à inspirer de la confiance pour sa sagacité, que Usher déclarait apocryphe l’épître à Polycarpe qu’on regarde comme authentique : le style en était très différent des autres dont l’authenticité était admise alors. Il vit la différence, et comprit qu’elles ne pouvaient être du même auteur ; et, supposant les autres authentiques, il rejeta celle-ci. Ce que le Siryaque laisse subsister des autres ne milite pas contre la lettre à Polycarpe pour ce qui s’agit du fonds et du style de la pensée. Pour moi, sans prétendre à la science en de telles matières, je ne doute pas, malgré Héfèle et Jacobson, que Cureton ne soit arrivé à une conclusion juste. La raison alléguée que ce qu’on trouve dans les manuscrits syriaques était un abrégé à l’usage de la piété des moines du couvent, me paraît n’avoir pas une ombre de fondement, attendu qu’il y a trois lettres distinctes, et non la substance soit de huit, soit de trois, et qu’on n’y trouve absolument rien de la vie ou des pratiques monastiques. Ce sont des portions de trois lettres plus grandes et non un traité pieux fait de la substance de trois. En conséquence, je tiens pour authentique l’édition syriaque. Ce résultat est confirmé par leur origine locale, mais ce n’est pas très important pour le sujet que je traite.

Les lettres d’Ignace, même celles que je ne crois pas authentiques, ainsi que les parties interpolées des épîtres authentiques, ne traitent point de l’Église catholique, ni de l’unité catholique, mais de l’unité locale en soumission à l’Évêque, de l’unité avec lui. On doit le considérer comme Dieu, les prêtres comme Christ, les diacres comme le collège des apôtres. Je prends les fortes expressions des huit lettres dans la forme défendue par plusieurs. Le point sur lequel on y insiste c’est l’union d’un troupeau local unique avec un seul et unique évêque, et cela en toute chose. Celui qui abandonne cette unité est en dehors de tout. L’épiscopat diocésain n’apparaît pas dans Ignace ; de fait, ce siècle ne le connaissait pas.

Dans l’épître de Smyrne, sur le martyre de Polycarpe, il est parlé continuellement de l’Église catholique (universelle) ; l’Église particulière est mentionnée comme Paroikia, Paroikousês, faisant un séjour momentané. L’Église catholique qui est à Smyrne (sect. 16) ; Christ est le berger de l’Église catholique dans tout le monde. À l’exception du fait que toute l’Église existant dans le monde est l’Église universelle, cette épître renferme peu d’enseignement doctrinal propre à nous aider. Elle passe pour authentique ; quant à la mesure dans laquelle on doit la considérer comme exempte d’interpolations, c’est une question dont il faut laisser le jugement à la confiance générale qu’on croit pouvoir mettre dans ces restes d’antiquité, où était si largement à l’oeuvre le système des fraudes pieuses et des évangiles et autres écrits fabriqués.

Je ne sache pas qu’elle ait été l’objet d’aucun soupçon.

3.1.4       [Polycarpe]

Voilà à quoi se réduit le témoignage des Pères apostoliques sur notre sujet. L’épître de Polycarpe aux Éphésiens ne nous apporte pas plus de lumière. Il fut dans l’ordre chronologique un lien entre les successeurs des apôtres et la troisième génération des écrivains chrétiens.

3.2   [Pères de la génération suivante]

3.2.1       [Justin]

À leur tête nous trouvons Justin. Il renferme peu de chose sur la doctrine de l’Église. Il l’envisage comme réunissant les hommes en un, en contraste avec le judaïsme. Il applique le Ps. 45 à l’Église (Dial. avec Tr. 287 b), disant que la Parole de Dieu s’adresse à elle, en tant qu’une seule fille, une seule âme, une seule synagogue, une seule assemblée ; il cite (Dial. avec Tr. 261 a) Ésaïe 53, selon les Septante, dans un but semblable. Tous les apôtres seraient comme un jeune garçon, ainsi qu’on peut le voir dans le corps composé de plusieurs membres, tous un cependant, et appelés un seul corps comme ils le sont en effet. Il ajoute : Car aussi, le peuple et l’Assemblée, en réalité plusieurs hommes par le nombre, sont appelés d’un seul nom, comme ne formant qu’une chose.

L’Exposition de la Foi va plus loin et cite Éphésiens 2, et 2 Corinthiens 6:16, en parlant du temple de Christ, mais elle n’est pas de Justin. Dans ses écrits, l’Église est le corps extérieur ou le rassemblement sur la terre, qu’il envisage comme étant un, ainsi qu’il fait des apôtres. Cela est d’autant plus frappant, qu’il fait évidemment allusion à 1 Corinthiens, l’a dans sa pensée, mais sans dépasser le fait d’une catégorie, sur la terre, de gens appelés chrétiens.

3.2.2       [Hermas]

Nous trouvons en Hermas, au traité appelé Le Pasteur, des vues très développées sur le sujet de l’Église. On convient assez généralement, je crois, qu’il était frère de Pie II (an 164). Il est cité, ce semble, par Irénée. Ses écrits étaient lus dans beaucoup d’églises, mais pas tout à fait pourtant sur le même pied que l’Écriture ; néanmoins ils sont presque cités comme inspirés par quelques auteurs qui ne font pas autorité sur la matière, entre autres par Origène, qui dit qu’il regarde Hermas comme inspiré. Mais le fait de la réception du Pasteur montrera où en était l’Église. Si l’Église professante de nos jours considère les chrétiens des premiers âges comme devant servir de guides vers la vérité, par la raison qu’ils étaient plus près de la source apostolique, cela tient à ce qu’elle croit aussi peu que le faisait l’Église primitive, et peut-être moins encore, à la nécessité de la puissance du Saint Esprit et de son opération. Saint Paul possédait la puissance du Saint Esprit : il savait, par elle, qu’après son départ il entrerait des loups très dangereux, et que même au dedans de l’Église il s’élèverait des hommes méchants. L’incapacité de l’Église primitive en fait de discernement ressort avec évidence de la lecture de ces visions, etc., d’Hermas et du respect qu’on avait pour elles. Je ne doute guère qu’il y avait dans l’âme de leur auteur un désir personnel de sainteté, et qu’il les écrivit à bonne intention ; mais ce ne sont que des fables mal conçues et malséantes, propres à nourrir les pratiques les plus honteuses de la superstition et de l’ascétisme (*) qui commençaient, et enseignant une doctrine hérétique en elle-même, et entièrement indigne des choses divines. Toutefois par leur moyen nous obtiendrons un aperçu historique des vues d’alors touchant l’Église.

(*) Il défend de vivre comme mari avec sa femme, mais il sanctionne d’une manière figurée le système des Pareisaktoi, tissu d’infamie et de méchanceté, aussi diabolique qu’il en fut jamais, que l’Église primitive appelait sainteté et qui la caractérise. Je sais que ces paroles semblent dures, mais il faut les employer pour de telles choses.

Passant par-dessus une indécente introduction, l’Église est pour Hermas simplement un édifice dans le monde. Elle commence par le pardon, non point par la repentance (Command. III). Ensuite, la repentance est permise une fois. Le nom du Fils de Dieu est nécessaire, mais tout dépend de la conduite ultérieure (Simil. IX, 13, 14) ; néanmoins il accorde qu’il y en a de sauvés quoique rejetés de l’Église. Mais cela est contredit (Sim. IX, 14). Il dit que l’Église devient un corps lorsqu’elle est purifiée et que les méchants sont chassés. Mais il y a une seule intelligence, une seule opinion, une seule foi, et la même charité. Les nations ont crut et ont reçu le sceau du Fils de Dieu (le baptême) ; elles sont toutes devenues participantes de la même intelligence, et de la même connaissance ; leur foi et leur charité ont été les mêmes ; et elles ont eu l’esprit de certaines vierges dont il parle, c’est-à-dire de différentes grâces, en même temps que le nom de Christ. Après s’être accordées ainsi dans une même pensée, elles ont commencé d’être un corps. Cependant quelques-uns se sont souillés et ont été séparés des justes ; et, retournés de nouveau à leur premier état, ils sont devenus pires qu’auparavant. Les anges bâtissent l’Église. Je n’entre pas dans les détails des verges vertes qui deviennent sèches, ni des verges fendues, ou à demi desséchées, qui reverdissent de nouveau. Je passe sous silence aussi les hommes riches comparés à des pierres rondes qui doivent être équarries et perdre toutes leurs richesses pour pouvoir trouver place dans la maison, ainsi que l’expulsion du bâtiment de certaines pierres, quand il est examiné par le Seigneur. Je ferai remarquer seulement qu’il n’est question que de profession extérieure, d’état moral actuel, et de cette terre ; un corps céleste, une Tête dans le ciel, ou le Saint Esprit qui nous unit à Lui et à son oeuvre, demeurent entièrement inconnus à l’auteur. Sa doctrine est comme suit : Le maître d’une vigne la confie à un serviteur qui doit l’entourer d’une haie, après quoi il sera libre. Mais il fait plus, et il la sarcle. Quand le maître revient pour la visiter, il est très content, et il prend conseil avec son Fils et avec les anges touchant la récompense à lui donner ; et en tant que le vase élu dans lequel le Saint Esprit, qui fut créé avant toute chair, a servi cet Esprit et ne l’a jamais souillé, il fut fait héritier avec le Fils.

Il explique que le Fils est le Saint Esprit et que le serviteur est le Fils de Dieu. Cependant, il dit ailleurs que le rocher, plus élevé que la montagne sur laquelle la maison (l’Église) était bâtie par les anges, est très ancien, et, néanmoins, une porte nouvelle qu’il est devenu dans le temps. Je pense, quoique ce ne soit pas dit nettement, que sa doctrine touchant Christ est celle qui était commune aux Pères de son siècle ; que Christ, quoique éternel, en tant que la Parole-pensée en Dieu, ne devint une personne (prophorikos) que lorsque Dieu se mit à créer le monde.

On a cherché à prouver son orthodoxie. Pour moi, je juge inutile de prouver qu’une doctrine aussi mauvaise, un si pauvre et anti-scripturaire non-sens n’a rien d’orthodoxe. Ce qui est important pour nous, c’est de voir qu’Hermas ne considère l’Église que comme une chose visible simplement extérieure, bâtie sur la terre, dans laquelle les hommes sont amenés, et d’où souvent ils sont rejetés plus tard, devenant pires qu’auparavant. Christ est le fondement sur la terre de cette chose extérieure ; Il n’est point la Tête vivante dans le ciel. Cela était entièrement perdu. Il n’est pas étonnant que la spiritualité scripturaire, cette merveilleuse chose, la chose nouvelle sur la terre, produite indépendamment de Juif et de Gentil, n’étant plus là, les différences nationales et toute la puissance terrestre occupassent et possédassent l’esprit. On voyait la maison, on la considérait dans son origine comme bâtie de Dieu ; mais on ne fit pas la différence entre le principe divin de sa constitution, l’oeuvre de Dieu pour l’établir, et le travail, de fait, de l’homme en elle (point sur lequel l’Apôtre est si positif). On ne vit que ce dernier travail, on confondit l’humain avec le divin, et dans le cas d’Hermas on l’attribua aux anges.

3.2.3       [Irénée]

Irénée voit l’Église en contraste avec les hérétiques, comme une chose extérieure dans ce monde. Celle dans laquelle les Apôtres furent placés, l’Église de Jérusalem, est celle de laquelle toutes les Églises tirent leur origine (III, 12, 5). L’Esprit y habite ; la communication de Christ y est (III, 24, 1). Ceux qui ne Le reçoivent pas, ne sont pas nourris par l’Église ; ils ne reçoivent point cette brillante fontaine qui jaillit de Christ. L’Esprit de Dieu et chaque grâce se trouvent dans l’Église. Mais il s’agit toujours du corps extérieur en contraste avec les hérétiques, et particulièrement les Valentiniens. Dans un passage, il parle de Christ comme tête de l’Église, mais seulement comme le Père est la tête de Christ, montrant qu’il n’a pas le sentiment de l’union du corps avec Lui.

En disputant contre les hérétiques, il emploie la foi des sièges que les apôtres avaient fondés comme une preuve de la vérité qu’ils avaient enseignée ; les Églises particulières sont témoins à son point de vue. C’est à cette occasion qu’il donne la liste des évêques de Rome (*).

(*) Cela n’intéresse guère mes lecteurs, peut être, mais je ne doute pas que le potiorem principalitatem (jusqu’à Massuet on lisait, potentiorem), est ikanôterên archên, une plus excellente origine, parce qu’il attribue la fondation de l’Église de Rome à deux apôtres. L’usage de ces mots dans Irénée rapproché du texte, met cela, à mon avis, hors de question.

Ce qu’il a de plus complet, peut-être, touchant l’Église, se trouve liv. III, 25, 1. D’après lui, l’Église a gardé avec constance la foi qu’elle avait reçue ; l’office qui lui avait été confié était de faire que tous les membres qui reçoivent (sans doute, ce qu’elle a à donner ?) fussent vivifiés (le latin est extrêmement obscur : ad inspirationem plasmationi, adhoc ut omnia membra vivificentur) ; et la communication de Christ, c’est-à-dire l’Esprit, était là (*). Il parle ensuite des dons (1 Cor. 12), ajoutant : Car où est l’Église, là se trouve l’Esprit de Dieu ; où est l’Esprit de Dieu, là est l’Église ; et l’Esprit est la vérité. Les dons se trouvent dans l’Église, savoir : les Apôtres, les Prophètes, les Docteurs et tout ce qu’il y a encore d’opération de l’Esprit, dont ne sont pas participants ceux qui ne vont pas à l’Église, mais qui se privent eux-mêmes de la vie. Il dit que l’Esprit est comme un admirable dépôt dans un vase, toujours jeune, et maintenant jeune le vase où il se trouve ; et il continue en parlant de l’office qui lui est confié de donner la vie. Tout cela manifeste une confusion complète sur le sujet qui nous occupe. L’Esprit est dans un vase dont il maintient la jeunesse : voilà qui est intelligible, si c’est vrai. Mais il ajoute : afin que les membres qui reçoivent soient vivifiés. Sont-ils donc membres avant d’être vivifiés ? et s’il entend le maintien de la vie, il y a alors quelque chose qui la communique auparavant et qui n’est point l’Église, et l’argument contre les hérétiques tombe. Le fait est que ce sont les membres qui ont la vie, et que ce n’est pas l’Église ; mais cela n’allait pas pour son argumentation. Il n’y a rien à dire à la figure du vase, parce que le vase n’a pas la vie, mais c’est une illusion de dire que l’Esprit le conserve jeune. Que la présence de l’Esprit le préserve de déclin, c’est ce qui ne peut être affirmé que si l’on confond le corps vivant avec la maison. Dans l’homme, le souffle de vie est la vie du corps entier et de tous les membres ; et on peut, d’une manière vague, considérer l’Esprit, comme animant tout le corps lorsqu’il est envisagé comme tel dans son union avec Christ ; mais alors, ce n’est point afin qu’il puisse leur donner la vie, comme les hérétiques ne le peuvent pas, parce que tout en étant appelés membres, ils sont considérés comme morts, c’est-à-dire, comme ne faisant pas partie du corps. De là le changement de figure ; mais même comme cela elle est vicieuse. Ils ne sont pas nourris du sein de la mère de manière à vivre : où donc étaient-ils nourris ? et l’Église est-elle distincte des membres qui la composent ? L’expression «Où est l’Esprit, là est l’Église», n’est pas absolument vraie, car Il est dans les individus ; mais pour le dessein d’Irénée, on peut le prendre ainsi ; et là où est l’Église, là est l’Esprit. Mais l’Église, pas plus que le corps, ne communique la vie ; elle l’a, si l’on veut parler en figure, car, en réalité, la vie est dans les individus. De plus, comme la maison et le corps sont confondus ensemble, il n’y a dans l’esprit d’Irénée aucune idée de la Tête. La demeure de l’Esprit dans la maison constitue la vie. Il n’est même pas question du corps, sauf par la comparaison avec la création de l’homme ; mais la chose extérieure est considérée comme ayant en elle la puissance de la vie, en vertu de la demeure du Saint Esprit, par contraste avec les hérétiques. On trouve chez ce Père la bénédiction d’une foi vivante qui a conscience d’elle-même ; mais par suite de la confusion qu’il fit dans les enseignements de l’Écriture sur la vie, la maison et le corps, ou plutôt par la manière dont il négligea le dernier, il a posé dans ses écrits le fondement pour les plus tristes prétentions de l’apostasie romaine.

(*) Nous n’avons qu’une mauvaise traduction latine. D’après elle, ne peut se rapporter à l’Église ; mais bien peut-être au vase (figure qu’il emploie pour la désigner) ou à l’office. Je donne l’idée générale qui est assez claire. J’entends inspirationem plasmationi du souffle dans les narines d’Adam de la respiration de vie. Ainsi l’Église a l’Esprit, la communication de Christ, pour que tous les membres aient cette communication de vie. C’est, dit-il précédemment, l’opération accoutumée pour le salut des hommes, qui est par la foi seule ; ce peut être une opération effective, comme quelques-uns le lisent. Il ajoute : «C’est pourquoi, ceux qui n’y participent pas (à l’Esprit, qui est la vérité) ne sont pas nourris par le sein de la mère, pour la vie, ni ne reçoivent la riche fontaine qui procède du corps de Christ». Remarquez ici qu’Irénée, qui s’occupe des hérétiques, déclare que les hérétiques ne sont nullement l’Église, et que, par conséquent, ils n’ont pas ce qui se trouve dans l’Église : elle seule nourrit en vie. Le bon Père raisonne dans un cercle manifeste. L’Église est là où est l’Esprit, et là où est l’Esprit, là est l’Église ; mais il y a chez lui une vive conscience de la foi. Ils ne sont pas l’Église, car ils n’ont pas la foi ; donc ils n’ont pas l’Esprit. Mais la foi se prouvait aussi par les traditions de l’Église.

Que le Saint Esprit maintienne jeune le vase dans lequel il habite, c’est une pensée qui ne se trouve point dans l’Écriture ; elle enseigne même le contraire. Ce qui est parfaitement vrai, c’est qu’Il conserve la vie éternelle dans les saints, membres du corps en union avec Christ. Mais l’Église, vue en contraste avec les païens d’abord, et maintenant avec les hérétiques, c’est-à-dire la corporation extérieure, absorbe, dans l’esprit des docteurs, les privilèges du corps ; tandis que l’idée scripturaire du corps et son union avec la Tête, sont entièrement perdues. Et comme la chose extérieure était déjà corrompue et le devint bientôt davantage, la voie était ouverte pour approprier les privilèges à l’extrême corruption. Mais, ainsi que je l’ai dit de tous les Pères, Irénée ne porte pas sa vue au-delà des circonstances et des difficultés du moment ; il se sert, à leur égard, de la doctrine telle quelle qu’il possède sur l’Église, et il ne songe pas à entrer dans cet important sujet pour l’abondance et la bénédiction qui lui sont propres. Aussi la notion de la Tête est-elle perdue ; elle aurait amené des pensées et des idées plus vraies. Mais quand l’Église eut perdu la notion de la Tête, elle ne put plus avoir l’idée précise du corps qui y est rattachée : et alors, les prérogatives et les privilèges devaient appartenir infailliblement à la chose extérieure, corrompue, et tout particulièrement pour celui qui avait foi à leur réalité. Or, cette foi, je n’en doute pas un instant, Irénée l’avait.

Mais que le lecteur le remarque, la Tête céleste d’un corps vivant n’entre en rien dans les pensées d’Irénée, non plus que le fait que nous sommes en Lui et qu’Il est en nous. Le Pape, par exemple, pouvait-il être cela ? Même en parlant d’Adam, il fait de lui l’Église, et de la respiration soufflée en lui, ce qui anime l’Église. Il n’y a point Ève, ni Adam pour représenter Christ. Toutes ces vérités sont perdues. Il n’y a que le Saint Esprit dans la chose extérieure qui est supposée communiquer la vie ; — et même quant à cela, tout est encore confusion.

3.2.4       [Clément d’Alexandrie]

Clément d’Alexandrie contient peu de chose sur ces matières : il dit seulement à l’occasion des temples faits de mains, que l’Église est la congrégation des élus (*). Mais avec lui, ce mot, les élus, ne signifie rien ici. Dans un passage des Stromates (VII, p. 885), où il décrit le Gnostique, le chrétien selon la connaissance, il dit qu’il ne favorise pas la chair. Les autres sont comme la chair du saint Corps ; car l’Église est, dans un sens allégorique, le corps de Christ, un choeur spirituel et saint, dont constituent la chair ceux qui sont appelés de nom seulement, et qui ne vivent pas selon la connaissance (ek logou) ; mais ce corps spirituel, qui est la sainte Église, ne doit avoir rien à faire avec la fornication… mais la fornication contre l’Église consiste à vivre dans l’Église comme les Gentils (païens). Nous voyons par là que la corruption était entrée, et comment un mysticisme occupé de théories cherchait à s’en débarrasser.

(*) Montague a suggéré que ce devait être ekklêtôn, des «appelés», mais ?

En répondant aux hérétiques, pag. 899, il dit que la plus ancienne et la véritable Église est celle qui est une, que les autres sont récentes et des églises adultères ; que Dieu approuve ce qui est seulement la vraie Église catholique fondée sur les deux Testaments, ou plutôt la seule et unique en divers temps, dans laquelle Dieu rassemble, d’après sa volonté, par un seul Seigneur, ceux qui sont déjà destinés, ordonnés pour elle (tetagmenous), lesquels Dieu a prédestinés, ayant connu qu’ils seraient justes avant la fondation du monde. Dans le passage ci-dessus, sa conscience travaillait ; ici, il fait des théories contre les hérétiques. Les baptisés sont lavés, illuminés, parfaits, etc. ; et ces choses sont ainsi affirmées dans un passage qui montre, comme le font généralement ses écrits, très peu de respect pour Christ, ou de connaissance de sa personne. Pour dire la vérité, la philosophie exerçait beaucoup plus d’influence sur lui que le Christianisme, si même on peut dire qu’il était converti.

3.2.5       [Origène]

Dans le pauvre Origène, extravagant, persécuté, mais sincère, nous trouvons sans doute de la confusion et une imagination sans frein, mais aussi, malgré tout, des marques d’une foi vraie et vivante. Mais ses écrits nous fournissent peu de lumière directe sur la marche des idées touchant l’Église, quoiqu’il ait largement influé sur elles. Il étudia l’Écriture, mais ne s’occupa point du gouvernement de l’Église ; même, ses diocésains ne voulurent point l’ordonner, mais le chassèrent. Dans son interprétation des Écritures, il donne assez bien, sur les points qui nous occupent, le contenu du texte lui-même, tel qu’il est. Seulement, l’Épouse, dans le Cantique, est l’Église ; le tabernacle représente tout en détail ; l’arche est l’Église ; Noé était à l’étage le plus élevé, — ce qui signifiait Jésus, le vrai repos, au sommet ; les Chrétiens, en mauvais état, comme les animaux impurs, étaient au fond.

Ses allégories sont ingénieuses et respirent la simplicité et la folie d’un enfant. Il était un chaud partisan du libre arbitre. D’un autre côté, dans sa réponse à Celse, pour prouver l’union de la Parole avec l’homme, il prend l’Église comme corps de Christ, — Christ communiquant la vie et le mouvement à ce qui autrement était sans vie et inerte, et chaque membre se mouvant, seulement comme mu par Lui, vie et âme du corps envisagé comme un tout. Il la nomme aussi l’Épouse et le corps de Christ. Il applique même à l’Église l’expression de «temple de son corps» en Jean 2 ; mais il dit là qu’elle sera une quand elle sera parfaite à la résurrection ; jusque-là, ainsi que les os secs épars d’Ézéchiel, elle est comparativement desséchée et dispersée par la persécution. Là aussi, il l’appelle le corps, et d’après Pierre, la maison bâtie de pierres vives ; il poursuit en donnant des sens mystiques aux nombres des surveillants, des maçons, etc., du temple de Salomon, et aux dates qui s’y rattachent. En un mot, Origène est fort versé dans l’Écriture, il en a une vue large, et, en conséquence, il a beaucoup plus de pensées divines que les autres ; mais avec cela il est d’une imagination sans frein, et il édifie fort peu sur la vérité fondamentale qui lui est même peu connue.

Ces deux derniers pères constituent, avec Barnabas, qui est d’une date plus primitive, l’École intellectuelle d’Alexandrie. Nous arrivons maintenant aux pères latins ; ils sont plus pratiques, et s’occupent davantage de choses, — d’affaires, non d’idées.

3.3   [Pères latins]

3.3.1       [Tertullien]

Nous rencontrons d’abord Tertullien et Cyprien qui nous ramènent à l’histoire du dogme. Le premier cependant ne nous aide que peu touchant la notion de l’Église. Ils sont tous occupés, comme je l’ai dit, de leurs difficultés particulières et des maux du jour. Tertullien ne nous donne aucune vue de l’Église. Il dit une fois qu’elle est la maison de Dieu ; mais son grand thème, qu’il répète constamment, ce sont les Églises, et non point l’Église, quoiqu’il dise une fois qu’elles sont une seule Église. Il insiste sur la succession des apôtres ou des hommes apostoliques comme garantie de la vérité, affirmant qu’ils sont un dans la doctrine (Il parle de conférences en Grèce, qui, dit-il, maintenaient la vérité). Lorsqu’il cite les passages de l’épître aux Éphésiens relatifs à l’Église, c’est seulement contre Marcion, et il s’en sert pour prouver que le Créateur était le Dieu suprême et que la chair n’était pas méprisée. Plusieurs estiment que ce traité fut postérieur à sa sortie du corps appelé dans ce temps-là l’Église catholique, ainsi que le fut probablement aussi une autre de ses déclarations, bien remarquable, que la distinction entre les laïques et les personnes ordonnées était seulement d’autorité ecclésiastique, que tous les chrétiens sont sacrificateurs, et que partout où il y en a deux ou trois rassemblés, ne fussent-ils que des laïques, il y a une Église, et l’on peut célébrer la Cène du Seigneur et baptiser. En somme, ce qu’il enseigne c’est la valeur des églises apostoliques comme garantie de la saine doctrine. Tertullien était un Romain légal, qui raisonnait contre les hérétiques.

3.3.2       [Cyprien]

Cyprien insiste fort sur l’unité de l’Église, mais c’est seulement en opposition avec le schisme de Novatus et de Novatianus. Jusque-là, l’unité avait été attaquée par les hérétiques, et les défenseurs de la catholicité avaient nié avec soin qu’ils fissent partie de l’Église, attendu qu’ils ne possédaient pas la foi que l’on pouvait prouver être la foi des apôtres. Maintenant, il s’élevait dans l’Église professante une chose nouvelle. La corruption était si grande (Cyprien lui-même l’atteste), qu’on réclamait une sévère discipline ; à défaut, selon qu’elles le jugeaient nécessaire, des personnes tenues pour orthodoxes se séparaient, et l’autorité de l’évêque était mise en question. De là, l’idée de Cyprien touchant l’unité : c’est l’unité locale avec les évêques, et l’unité de tous les évêques comme n’étant ensemble qu’un évêque, un seul épiscopat ; il cite la promesse à Pierre (Matt. 16:18). Les évêques ont tous un honneur égal, un égal pouvoir ; cependant Christ commence par un seul, pour qu’on voie que l’Église est une. Il n’y a qu’un seul épiscopat dont des individus tiennent chacun une partie, comme partie d’un tout. Il n’y a aussi qu’une Église, qui croit en une multitude. Il la compare à la lumière et au soleil, à un arbre avec ses rameaux ; si l’on en coupe un, il est perdu et meurt. Telle est l’Église du Seigneur exclusivement. Sa lumière, ses branches, s’étendent au loin ; mais il y a unité de lumière et de corps. Il y a une Tête, une origine, un corps, une mère (De unitate Ecclesiae, 106, suiv.) Nous sommes nés d’elle, nourris de son lait, animés de son esprit ; l’épouse de Christ ne peut se corrompre ; elle est incorruptible et chaste. Celui qui sort de l’Église ne peut avoir les récompenses de Christ ; c’est un étranger, un profane, un ennemi. Celui qui n’a pas l’Église pour mère, ne peut avoir Dieu pour père... Et beaucoup d’autres choses de même portée. Il la compare à l’arche de Noé, à la robe de Christ, à la maison de Rahab, à la maison où se mange l’agneau pascal. Dieu amène les hommes au même sentiment dans une maison. Dans la maison de Dieu, l’Église de Christ, les hommes vivent dans un sentiment unanime (V. Épître aux Tombés XXXIII, 66). Il revient encore à Pierre : c’est de là, par le cours des temps et la succession, que l’ordination des évêques, ainsi que le principe de l’Église, a pris son cours régulier, afin que l’Église fût fondée sur les évêques (Épit. XLIX, 93, 95). Corneille, évêque de Rome, dit dans sa correspondance, qu’il n’y a qu’un seul évêque dans l’Église ; que l’Église catholique est manifestement une et ne peut être partagée, ni divisée. L’ivraie se trouve dans l’Église ; nous ne devons pas la quitter, mais chercher à être du froment ; il cite 2 Tim. 2, 20, les vaisseaux à déshonneur, mais ne dit pas qu’il faut nous en purifier. Le Seigneur seul, dit-il, peut briser les vaisseaux de terre (Sur le retour d’un confesseur, Cyp. ép. LIV, 99-100). On ne peut être avec Christ si l’on n’est pas avec son épouse et dans l’Église ; il dit cela à propos d’Éph. 5:31. Cependant, tout se rapporte à Novat, qui s’était séparé à cause de la discipline relâchée, à son avis, qu’on exerçait envers les tombés (96).

De même que l’Église, qui est une, est répartie par Christ dans tout le monde en plusieurs membres, ainsi l’unique épiscopat est réparti dans un égal nombre d’évêques. La page 112 est relative à Éph. 4. Le Seigneur ne permet pas aux apôtres d’arracher l’ivraie. On prétend séparer (2 Tim. 2:20) ; on prétend mépriser et rejeter ces vaisseaux de bois et de terre, tandis que ce n’est qu’au jour du Seigneur qu’ils seront brûlés ou mis en pièces avec une verge de fer (168). L’Église ne se retire pas de Christ ; et pour Cyprien, l’Église est le peuple uni au prêtre et le troupeau s’attachant à son pasteur, quand même la multitude s’en aille ; «car, dit-il, tu dois savoir que l’évêque est dans l’Église et l’Église dans l’évêque, et s’il y en a qui ne soient point avec l’évêque ils ne sont point avec l’Église, qui est catholique et une, non partagée, ni divisée, mais unie et jointe par le lien des prêtres adhérents réciproquement les uns aux autres». Tout cela, on le verra bien, est dirigé contre Novatus et Félicissimus, chefs à Carthage d’un parti qui lui était opposé, et contre Novatien à Rome. Il dit que l’Église ne peut se corrompre, et il déclare, néanmoins, que, sous le rapport moral, les évêques et tous n’étaient que paganisme et mondanité, tellement que la persécution de Décius ne fut qu’une miséricordieuse dispensation de Dieu pour l’Église : elle ne peut se corrompre, mais elle était remplie d’ivraie et de vaisseaux à déshonneur.

Je me suis volontiers arrêté davantage à Cyprien parce qu’on sait qu’il a beaucoup écrit sur l’unité de l’Église, et que son système la caractérisa largement d’une manière sensible, pour le peu de temps que dura son activité personnelle. Mais, ce système mourut avec l’énergie qui l’avait créé. Il ajouta l’idée d’un épiscopat unique, réparti entre plusieurs membres, formé de l’union des épiscopats diocésains, à l’idée d’Ignace sur l’unité locale du troupeau avec son président. Quoiqu’il fasse usage des Écritures, l’idée qu’elles donnent de l’union de membres vivants avec une Tête dans le ciel ne paraît pas avoir traversé son esprit comme étant une vérité en elle-même ; mais il attache l’importance et les droits de ce dont l’apôtre parle à un corps qui est rempli, il le reconnaît, d’ivraie semée par Satan et de vaisseaux à déshonneur. Mais il faut que cela demeure ainsi. C’est-à-dire, que nous avons maintenant devant nous l’unité extérieure (en réalité, par l’autorité cléricale de prêtres qui tiennent ensemble comme de la colle), le crédit de l’épouse et du corps de Christ rattaché à ce que l’on avoue être une vaste masse de corruption et de mal.

3.3.3       [Augustin]

Augustin nous présentera une autre phase. Néanmoins, ses vues sur une religion personnelle et sur l’élection l’entraîneront dans une contradiction et des difficultés plus grandes. Elles sont malgré cela importantes ; car si les vues hiérarchiques du Romanisme ont été formées par Cyprien, Augustin a été dans une grande mesure la source des doctrines réformées, à l’exception de celle de la justification par la foi, sur laquelle la Réformation a eu certainement un peu plus de lumière. Mais ces difficultés, s’il ne fallait pas les déplorer pour l’amour de l’Église, seraient réellement amusantes pour l’embarras dans lequel il se trouve. Ainsi que tous les autres, tout en sondant l’Écriture pour lui-même, comme un homme pieux qu’il est, il s’occupe dans ses raisonnements des circonstances du jour : c’était pour lui les Donatistes.

Il s’était élevé, en Afrique, une dispute sur l’épiscopat du prédécesseur de Donat, et il s’était formé un très grand parti, qui comptait une très considérable portion de l’épiscopat. On alléguait que Cécilien avait été ordonné par un homme qui avait été infidèle durant la persécution de Dioclétien, ayant livré les saints livres (traditor). Majorin avait été élu et avait eu pour successeur Donat. Les autres se plaignaient de l’amour fanatique du martyre. Les Donatistes en appelèrent à Constantin, et après deux appels successifs de la première sentence, ils furent condamnés et persécutés violemment. Ils répondirent par la violence et, comme on les en accuse, par l’assassinat ; tant l’histoire de l’Église primitive est brillante ! Mais il nous faut mentionner ici une autre circonstance. Cyprien et la plupart des évêques d’Orient avaient rebaptisé ceux qui avaient été baptisés par les hérétiques. Rome et ceux qui étaient sous son influence s’étaient opposés à cela ; et avec le cours du temps, l’opinion de Rome avait prévalu en Occident, où il était orthodoxe de recevoir le baptême hérétique. En Orient, on continua généralement de le rejeter longtemps encore après ceci. Je mentionne cela, parce que ce fut une grande source de perplexité pour Augustin. Il partageait la manière de voir de l’Occident. Mais par là il devait reconnaître que le baptême donatiste conférait à des gens qui n’étaient pas dans l’Église catholique le pardon des péchés et le Saint Esprit. C’était naturellement une difficulté terrible. Je vais exposer ses vues et l’on verra aisément combien elles sont en conflit. Elles donnèrent naissance à la notion d’une Église invisible. Il aime extrêmement à insister sur un texte et à le répéter constamment, entre autres Éph. 5, quant à l’unité du corps et de la tête, de l’épouse et du mari.

À cause donc que Christ tout entier se compose de sa tête et de son corps, il nous faut, dans tous les psaumes, entendre les paroles de la Tête, de manière à entendre celles du corps (Ps. LVII, 754, c. d.). En conséquence, toutes les nations dans l’Église sont comme le jour de Pentecôte. C’est toujours avec lui, unus homo, caput et corpus, un homme, tête et corps (Ps. XVIII, 122, c.). Aussi, quand, dans les psaumes, les déclarations ne conviennent pas à Christ, envisagé comme Dieu ou même comme homme, il dit, j’ose dire que c’est Christ qui parle mais Christ parle, parce que Christ est dans les membres de Christ (Ps. XXX, 211, a).

Il dit (vol. IX, éd. Ben., 587, b.) que personne n’est jamais arrivé au salut lui-même et à la vie éternelle, si ce n’est celui qui a la tête, Christ ; mais personne ne peut avoir la tête, Christ, sauf celui qui se trouve dans son corps qui est l’Église. Ensuite, il ne rejette pas les donatistes pour tous leurs actes ; cela serait de la paille, mais ne gâterait pas le froment s’ils retenaient ferme l’Église. Il n’accepte pas non plus l’Église à cause de quelque bien ou pour des opinions d’hommes. Il faut donc approuver ce qui est bien fait dans l’Église catholique, parce que c’est fait dans l’Église catholique. Nous reconnaissons, dit-il, l’Église comme la tête dans les Écritures canoniques. Il insiste pour qu’on sonde les Écritures. Elles parlent d’une Église universelle. Ce ne peut être les donatistes d’Afrique. Il cherche ensuite à justifier la persécution quand elle est employée à propos. Mais, comme je l’ai donné à entendre, il est fort embarrassé ici à cause de la décision qui validait le baptême des hérétiques. Ses adversaires alléguaient que le baptême des donatistes était accepté, et qu’en conséquence, il devait admettre qu’ils conféraient la rémission des péchés et le Saint Esprit, comme on croyait qu’il en était ainsi dans le baptême, et qu’ainsi l’admission par leur moyen, dans l’Église, des personnes qu’ils baptisaient était chose reconnue, c’est-à-dire que les donatistes étaient aussi l’Église. Il répond à cela que plusieurs qui sont dehors publiquement sont meilleurs que beaucoup de bons catholiques. Mais Dieu aussi connaît ses prédestinés, il sait ce qu’ils seront ; mais nous, sa colombe, qui jugeons d’après les choses présentes, nous ne les connaissons pas. C’est le Seigneur qui dira : Je ne vous ai jamais connus ; retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. Je réponds, ajoute-t-il encore, un avare ou tout autre pardonne-t-il les péchés ? Oui, si vous regardez au sacrement ; non, si vous regardez à lui-même. Nous reconnaissons ce qui est de Christ, mais cela ne profite pas ; mais quand le mal sera corrigé, alors cela profitera. Quelqu’un qui est baptisé dans l’hérésie ne devient pas le temple de Dieu, et un baptisé avare ne l’est pas non plus, à moins qu’ils n’abandonnent le mal (*). Il dit encore (IX, 168, b. c.) : Ils sont engendrés à Dieu, mais par ce qu’ils ont (les donatistes) de commun avec l’Église catholique ; séparés du lien de la charité et de la paix, mais trouvés dans le baptême. Et non-seulement ceux qui sont en séparation ouverte d’avec elle ne lui appartiennent pas, mais ne lui appartiennent pas non plus ceux qui, tout en étant compris dans son unité, en sont séparés par une mauvaise vie. Il prend le cas de Simon le magicien, et dit que celui qui n’a pas la charité (cui deficit) est né en vain, et que-peut-être il eût mieux valu pour lui de n’être jamais né. Il est fort embarrassé aussi par les paroles : «Recevez le Saint Esprit», et ce qui vient ensuite, comme il le cite : «Baptisez toutes les nations au nom, etc.» et par «à quiconque vous remettez les péchés, etc.» Il répond en disant : «Celui qui hait son frère demeure dans la mort». Or, c’est ce que font les schismatiques. Et qu’est-ce qu’être né de nouveau dans le baptême, sinon être renouvelé de son ancien état ; mais il n’en est point ainsi de celui dont les anciens péchés ne sont pas ôtés ; et s’il n’est pas né de nouveau, il n’a pas revêtu Christ, et s’il n’a pas revêtu Christ, il ne doit pas être considéré comme baptisé en Christ. Mais on lui répliquait par ce passage : «Tous ceux qui ont été baptisés en Christ ont revêtu Christ». Il reconnaissait que les baptisés en Christ ont revêtu Christ ; alors on alléguait naturellement qu’il reconnaissait leur baptême, qu’en conséquence ils étaient régénérés, que leurs péchés étaient donc ôtés. Il leur répond seulement par Simon le magicien, pardonné, et cependant n’ayant ni part ni lot en cette affaire. Ensuite (271, b. c. et suiv.), dans l’ineffable prescience de Dieu, plusieurs qui semblent dehors sont dedans, et plusieurs qui paraissent être dedans sont dehors. C’est, continue-t-il, de tous ceux qui sont dedans d’une manière intrinsèque et secrète, si je puis m’exprimer ainsi, que se composent ce jardin clos, cette fontaine scellée, etc. ; mais il place dans l’arche ceux qui ont été baptisés par les hérétiques et autres (218, b.). L’eau de l’Église est fidèle, salutaire et sainte pour ceux qui en usent bien ; mais on ne peut en bien user hors de l’Église. Elle ne peut être corrompue. Ainsi, l’Église est incorruptible, chaste, pure, et c’est pour cela que les hommes avares, etc., n’en font pas partie, eux dont Cyprien lui-même rend témoignage qu’il n’y en a pas dehors seulement, mais qu’il s’en trouve aussi dedans (466 a.). Si vous voyez en gémissant de telles multitudes (de méchants) autour de vos autels, que dirons-nous ? qu’ils sont oints de l’huile sainte et que, comme l’Apôtre le prouve avec évidence, ils ne posséderont point le royaume de Dieu. Distinguez donc le sacrement saint, visible, qui peut se trouver dans les bons et dans les méchants, pour leur récompense en ceux-là, pour leur jugement en ceux-ci, de l’onction invisible de la charité qui appartient seulement aux bons. Mais la véritable Église (578 a.) n’est pas couverte, ni cachée, et elle ne saurait l’être ; d’où il résulte que les donatistes ne la sont pas. Le Seigneur a comparé l’Église à un filet. Les mauvais poissons ne sont point vus sous les vagues par les pêcheurs ; mais c’est sur l’aire, au jugement, que les méchants seront manifestés. La séparation des poissons n’eut lieu que lorsque le filet fut tiré dehors ; de même, on est pêle-mêle dans l’Église jusqu’à ce que le van soit mis en usage. Les sept mille ne se séparèrent pas d’Israël.

(*) Cela fait penser au catéchisme de Westminster et à d’autres pareils systèmes de doctrine.

D’après Augustin, les saints de l’Ancien Testament font partie de l’Église (VI, 454, 455, 480, c. ; V, 25, c. d.).

La confusion et la contradiction sont manifestes, ainsi que l’état de lutte où se trouvait une âme, qui, ayant appris ce que c’était que la vraie sainteté et l’élection de grâce de Dieu, avait à maintenir un système extérieur, et faisait de la chose corrompue extérieure le corps incorruptible de Christ, tout en gémissant de voir autour de ses autels des multitudes de méchants.

3.3.4       [Jérome]

Jérôme est beaucoup plus vague. Il tient les saints de l’Ancien Testament pour des membres de l’Église (Comm. sur Gal. IV, I, VII (1) 446) ; il applique à l’Église la parabole de l’ivraie, ainsi que l’arche comme recevant toutes sortes d’êtres ; de même pour 2 Tim. : il emploie l’or, l’argent, les vaisseaux de bois et de terre contre les Lucifériens, secte sévère contre les Ariens, plus sévère que le corps catholique public (II, 195). Le jour du jugement arrangera cela. Néanmoins, personne n’est sauvé hors de l’Église. L’Église est universelle ; et ne saurait être les Lucifériens. Il se plaint amèrement de l’état où elle se trouve ; il lui applique Jérémie 23:11, 12, et la prend pour la maison de Christ (IV, 999). Christ, notre Tête, s’entend pour lui, seulement de commun Seigneur. Ainsi, quand il dit que Christ est la Tête, c’est d’Abraham, de Phinées, etc., qu’il est question.

3.4   [Chrysostome]

Nous ne trouvons pas grand’chose dans Chrysostome : c’était un prédicateur éloquent, un homme pratique, qui résistait avec ardeur au mal public ; il mourut en exil, déposé de son siège. L’Église est le corps de Christ (Hom. XXX, sur 1 Cor.), et cela est développé clairement. D’après lui, «être baptisé par l’Esprit» est relatif au baptême, et «boire dans un même Esprit», à la Cène du Seigneur ; il rapporte la première expression à la régénération, ainsi que par «un même Esprit en un seul corps», un par lequel, et un dans lequel, dit-il. Mais il était beaucoup plus occupé de l’état actuel de l’Église ; il se plaint qu’on n’a que les signes ou les symboles de ce que l’on avait au commencement, comme par exemple, le fait que deux ou trois parlaient dans l’Assemblée.

4                    [Doctrine et pratique de l’Église à partir de Constantin]

4.1   [Les vues de Rome — Hiérarchie d’Occident]

Mais durant toute cette discussion touchant la doctrine, il s’était formé un autre système. L’empereur qui professa le premier le christianisme avait transporté le siège de l’empire à Byzance, — qui prit de lui le nom de Constantinople. Il en résulta un double effet. L’importance politique de la position du prélat romain devint beaucoup plus grande, et s’accrut encore quand les invasions barbares firent disparaître en Italie l’autorité de l’empereur ; toutefois, là où elle se maintint, à Ravenne et même à Milan, on resta indépendant de Rome ; et c’est à ce fait que les historiens cherchent à rattacher les Vaudois par Turin. Dans tous les cas, cette indépendance dura des siècles. L’autre résultat de l’abandon de Rome, comme capitale de l’empire, fut que le siège de Constantinople, qui n’avait pas même été métropolitain, et qui n’était pas de fondation apostolique, chercha à rivaliser avec Rome, d’autant plus que la ville avait reçu le nom de Nouvelle Rome. Car il faut que le lecteur sache que l’Église primitive, tant vantée, était une mer de politique ardente, d’avarice et d’ambition ; et que les conciles généraux, assemblées d’évêques convoqués par l’empereur en vue d’apaiser les disputes violentes et séditieuses auxquelles se livraient les divers partis sur la doctrine et sur les questions ecclésiastiques, ne faisaient qu’agiter et déchirer l’empire. Chose étrange à dire ! les conciles tenus quand l’Église était libre du pouvoir séculier ne sont pas considérés comme généraux. Les papes les tinrent beaucoup plus tard. Au commencement, les empereurs seuls les convoquaient. Même à celui de Nicée, ce fut l’empereur, qui avait acquis quelque expérience des matières ecclésiastiques dans les affaires donatistes, qui dirigea et gouverna tout. Les saints Pères avaient apporté leurs plaintes écrites, ou leurs mémoires, contre leurs frères épiscopaux, et les remirent entre ses mains ; il reçut toutes ses plaintes et les livra aux flammes, après avoir exhorté les Pères à la paix. On dit qu’il approuva ceux qui avaient raison, qu’il les flatta tous et même d’une façon un peu grossière, qu’il leur adressa des exhortations et qu’il régla le différend en les faisant tomber tous d’accord, sauf quelques-uns. Il bannit ensuite ceux, en petit nombre, qui résistèrent. Rome n’occupe dans ce concile qu’une place fort obscure ; elle y fut représentée par deux prêtres, peut-être par un évêque, Hosius. On allègue aussi que le pape se trouva absent pour motif de vieillesse, je soupçonne que ce fut plutôt par politique. En tout cas, on en fit un précédent, comme nous le voyons dans les lettres de Léon sur le concile de Chalcédoine ; mais il n’est pas douteux que si Rome y eût été, elle aurait eu la primauté du rang (quel mot, hélas !). C’est même pour ce point-là que j’ai parlé de cette affaire.

Jusqu’au moment où Byzance, subordonnée alors au métropolitain d’Héraclée, devint la capitale de l’empire, Alexandrie, Antioche et Rome formaient, comme étant les villes principales, les trois grands centres ecclésiastiques. Antioche, l’ancienne capitale de la grande monarchie syrienne ; Alexandrie, capitale du royaume d’Égypte ou des Ptolémées, et le centre le plus fameux qui existât des sciences et du commerce ; Antioche, en outre, alléguant que Pierre l’avait fondée et y avait eu son siège ; et Alexandrie, se réclamant du même fondateur par le moyen de son disciple Marc ; et la troisième, Rome, encore plus célèbre, qui était la capitale du monde, et qui avait été fondée par les deux apôtres Pierre et Paul. Je ne me rends pas responsable pour cette tradition ; elle est extrêmement douteuse sur plusieurs points, mais elle exerça une grande influence au temps dont nous parlons. Tant que les empereurs furent païens, l’influence de ces siéges s’accrut par différentes causes. Cependant, les évêques conservèrent à un très haut degré leur indépendance, particulièrement dans l’Asie mineure et en Afrique, où Éphèse (qui devint plus tard métropolitaine) et Carthage obtinrent respectivement une large part d’influence. Au troisième siècle, ces deux provinces se maintinrent absolument indépendantes de Rome sur la question du baptême des hérétiques, et Cyprien usa même d’un langage très fort. Mais Alexandrie domina, de fait, sur l’Égypte et sur la Lybie, et Antioche sur l’Asie, jusqu’à ce que, dans des temps postérieurs, Jérusalem fut érigée en patriarcat. La Gaule cisalpine et je puis ajouter la Gaule transalpine, et les chrétiens de la Bretagne, étaient aussi en dehors de la domination du métropolitain de Rome, qui s’étendait sur les provinces suburbicaires, aujourd’hui les États de l’Église, le royaume des Deux-Siciles et la Sardaigne. Mais, dans tout l’Occident, il n’y avait pas de grand siège qui pût contre-balancer Rome ; et graduellement elle étendit son influence sur la Gaule, l’Espagne et l’Illyrie (qui demeura cependant une sphère contestée jusque dans des temps bien postérieurs), en désignant, particulièrement en Gaule, comme son légat, quelque métropolitain ou quelque évêque principal, mais qui n’était pas le métropolitain officiel du pays.

C’est de cette manière, ainsi que par une interprétation habile et étendue de quelques canons d’un concile de Sardique (*), dont on fit un appendice des canons du concile de Nicée, par une addition fausse au sixième canon de ce concile même, par les influences des princes et par une vigilance incessante à se servir de toutes les occasions favorables, que Rome parvint à placer tout l’Occident sous son influence.

(*) Ce fut un très petit concile provincial, composé exclusivement des adhérents du pape, débris d’une assemblée plus considérable. Rome en publia les canons comme faisant partie de ceux de Nicée. Ils accordaient à Rome une sorte d’appel de juridiction. Mais le concile de Chalcédoine ne voulut pas les admettre parmi les canons reçus par l’Église universelle ; et par l’influence d’Augustin, les évêques d’Afrique condamnèrent et défendirent ces appels. Le légat du pape soutint qu’ils appartenaient au concile de Nicée ; on ne le crut pas, et l’on eut des copies authentiques envoyées à cet effet, qui prouvèrent que c’était faux. La protestation fut maintenue.

La destruction presque totale, par les Saxons, des églises bretonnes qu’avaient fondées des hommes venus d’Orient, ainsi que le prouvait leur manière de célébrer la Pâque, et la conversion des Saxons par des personnes envoyées de Rome, lui soumirent l’Angleterre. Cependant, l’Église du Nord, qui s’était étendue jusqu’au milieu de ce pays, ne reconnut son autorité qu’après la dispute de Whitby, entre Wilfrid et Colman, vers l’an 654. Ce ne fut qu’au concile de Trente, et malgré la courageuse résistance des prélats d’Espagne, qu’il fut déclaré que les évêques tiraient leur autorité du pape. À Constance, au 15° siècle, on décréta qu’un concile général lui était supérieur, et l’on agit d’après ce principe.

4.2   [Patriarches — Hiérarchie d’ Orient — Influence croissante de Rome]

J’ai voulu suivre jusqu’au bout l’histoire de la hiérarchie latine, ou d’Occident. Je reviens à l’histoire générale des patriarches.

Ainsi que nous l’avons vu, la profession du christianisme par l’empereur et l’établissement de Constantinople comme capitale, suscitèrent un rival à l’évêque de Rome. Mais les Grecs disputaient sur des mots, tandis que les Romains poursuivaient sans cesse leur but, l’établissement de leur suprématie hiérarchique : mettant en avant une prétention que personne ne connaissait ; saisissant, pour la mettre en action, les occasions qui leur étaient offertes par d’autres, et faisant alors valoir l’ancienne prétention comme preuve de l’antiquité de leurs droits (*). Une autre circonstance favorisa cette ambition. Constantinople cherchait à étendre et étendait son influence sur l’empire d’Orient, en se faisant arbitre dans les discussions qui surgissaient entre les évêques et entre les métropolitains. Dans le concile de Constantinople, on accorda le premier rang à Rome, comme étant l’ancienne Rome, mais Constantinople obtint le second, en qualité de nouvelle Rome. À celui de Chalcédoine, Constantinople fut placée sur le même rang, isa presbeia, comme la ville de l’empereur. Mais cette pression de Constantinople sur Antioche et Alexandrie les porta à se jeter plutôt dans les bras de Rome. Léon parle d’une manière remarquable des trois sièges de Pierre ; et dans les interminables disputes théologiques de l’Orient, le bon sens calme et ferme de l’Occident romain, faisait de Rome un arbitre continuel touchant la doctrine. C’est ce qui donna aux papes dans toutes ces questions une influence décisive, comme on le voit dans le cas de Léon, homme réellement capable, et, je suis disposé à le croire, à intentions droites mais recherchant toujours, comme un véritable Romain, l’influence politique. Dans la personne de Léon, cette supériorité prit quelque peu, dans sa lettre à Flavien, la forme d’autorité dogmatique. Constantinople et Rome se disputaient encore l’influence ; l’une la possédait en Occident parce qu’il n’y avait pas l’empereur, l’autre en Orient, parce que l’empereur y était. Mais le mal produisait ses fruits pour le jugement.

(*) Voyez la note qui termine ces pages [point 7].

 

L’évêque de Constantinople, Jean le Jeûneur, se prétendit évêque oecuménique (universel), à propos d’accusations contre le patriarche d’Antioche qui se jugeaient à Constantinople. Le pape, Pélage, en raison de cela, annula toute la procédure. Mais Jean reproduisit sa prétention, quand il reconnut l’accession de Grégoire. Grégoire le dénonça comme un précurseur de l’anti-Christ, et prit alors le titre papal bien connu de Serviteur des serviteurs de Dieu. Quoique l’évêque de Rome eût droit, pensait-il sur l’autorité du concile de Chalcédoine, de se faire appeler pape universel, il s’en abstenait par humilité. Mais la chose ne finit pas là. Grégoire continua ses efforts pour réprimer les prétentions de Constantinople et rompit la communion avec elle. L’empereur Maurice, qui résistait à l’influence de Rome, fut massacré avec toute sa famille, et Grégoire félicita son meurtrier de la façon la plus dégoûtante. En retour, Phocas, le nouvel empereur, rendit un décret portant que comme Constantinople avait prétendu être chef de toutes les églises, l’évêque de Rome serait le primat de toutes les saintes églises. Ceci rappelle un peu les disputes, sur une plus petite échelle, entre York et Cantorbéry, qui eurent pour résultat que York fût primat d’Angleterre, et Cantorbéry primat de toute l’Angleterre. En Irlande, la même question s’éleva entre Dublin et Armagh : il s’agissait de savoir si l’archevêque de Dublin pouvait faire porter la croix élevée devant lui, dans la juridiction d’Armagh ! Maintenant Dublin est primat d’Irlande, et Armagh de toute l’Irlande.

Et voilà le christianisme ! Mais poursuivons cette triste histoire.

4.3   [Le pape prince temporel — Le Grand Schisme]

Au 8° siècle, le territoire qui forme maintenant les États de l’Église, ou du moins leur plus grande partie, fut donné à Rome par Charlemagne, sous la réserve de ses droits impériaux : et le Pape devint prince temporel. Toutefois, dans le même temps, l’empereur Grec, ou d’Orient, s’empara de l’Italie méridionale, de la Sicile et de l’Illyrie, dépouillant le siége de Rome des vastes États qu’il possédait dans le premier de ces pays. De là naturellement une amère animosité.

Au 9° siècle, l’empereur refusant de lui restituer ses États et son autorité, le pape prit en main la cause d’Ignace, patriarche de Constantinople, que l’empereur avait déposé, et ils s’excommunièrent réciproquement. L’empereur fut tué et son meurtrier qui lui succéda rappela Ignace. En attendant, le pape et le patriarche se disputaient la suprématie sur les Bulgares récemment convertis, et Rome fut accusée alors d’hérésie. À la mort d’Ignace, Photius fut rétabli dans le patriarcat de Constantinople ; le pape y consentit, à condition que la Bulgarie lui serait assujettie. On l’accorda, mais on ne tint point parole. Un légat fut envoyé de Rome à Constantinople et jeté en prison ; devenu ensuite pape, il déclara que Photius avait été antérieurement dûment jugé et dégradé. Dans le 11° siècle, Cérularius, patriarche de Constantinople, accusa le pape de diverses hérésies. Léon IX excommunia toutes les églises grecques. L’empereur, qui avait besoin de son influence en Italie, chercha à apaiser la controverse, et les légats du pape vinrent à Constantinople ; les Grecs ne voulurent pas se soumettre. Les légats excommunièrent le patriarche et ses adhérents, et le patriarche excommunia les légats et les leurs. Et ainsi le schisme de l’Occident et de l’Orient fut définitivement consommé.

4.4   [Grégoire le grand — Le système papal s’élève encore — Déclin puis maintien de l’église grecque]

C’est dans ce siècle que les papes, devenus, après l’accroissement successif de leur puissance, tellement infâmes dans leur conduite, que les Romains les déposèrent, que l’empereur d’Allemagne en nomma de nouveaux de sorte qu’il y en avait toujours deux qui se battaient pour la place, imposèrent, dans la personne de Grégoire VII (Hildebrand), le célibat absolu à tout le clergé. Depuis longtemps on l’exigeait d’une manière nominale ; mais, de fait, le grand corps des prêtres était marié, et ils furent forcés maintenant de renvoyer leurs femmes. En sorte que, quoique mort exilé de Rome, Grégoire réussit à dépouiller l’empereur du droit de confirmer l’élection du pape et à établir le célibat du clergé. Un autre changement très important, effectué dans ce siècle, fut l’élection du pape par les cardinaux ; elle se faisait jusqu’alors par tout le clergé, les nobles et le peuple. Cependant, on réserva la confirmation par l’empereur, ainsi que celle du peuple, mais celle de l’empereur fut mise de côté par Grégoire VII, même par Alexandre II, sous lequel pourtant il y eut un anti-pape. Grégoire fut élu par acclamation et confirmé par l’empereur, et il commença aussitôt son oeuvre de l’élévation de la papauté au-dessus de toutes les puissances humaines. Il exigea que tous les rois reconnussent qu’ils tenaient de lui leurs couronnes. Guillaume le Conquérant et d’autres refusèrent ; quelques-uns furent charmés de le reconnaître ; Naples, par exemple, la Croatie, et, chose étrange, la Russie.

Me voilà arrivé à l’entier établissement du système papal, en lutte avec le droit qu’avaient les empereurs de donner l’investiture aux évêques dans leurs sièges. L’histoire de l’Église indépendante d’Écosse est pleine d’intérêt ; elle fut le grand évangéliste de l’Allemagne et de la Suisse. Mais Boniface, l’apôtre de l’Allemagne, étant soumis au pape et étant devenu archevêque de Mayence, cette contrée tomba tout entière sous l’influence papale, ou bien les richesses considérables, rattachées aux sièges épiscopaux, donnèrent naissance à la question de l’investiture, comme ils constituaient réellement des principautés et qu’on les possédait comme telles.

L’Église grecque fut dépouillée de sa gloire par les invasions des Sarrasins, devant lesquels s’éteignit l’influence d’Antioche et d’Alexandrie. Il semblait aussi que la prise de Constantinople par les Turcs, au quinzième siècle, dût mettre un terme à son importance. Mais telle n’était pas tout à fait la volonté de la providence divine : car la conversion de la Russie au christianisme s’étant accomplie, au moyen des travaux d’hommes en rapport avec le patriarche grec, au dixième siècle, par le baptême de la grande-duchesse d’abord et ensuite par celui du grand-duc, qui fut suivi de celui de toute la nation, l’influence de la Russie s’employa désormais en faveur de l’Église grecque. Au commencement, les Russes étaient soumis au patriarche de Constantinople. Au seizième siècle, l’archevêque de Moscou devint patriarche, dépendant d’abord et plus tard indépendant ; puis, sous le règne de Pierre le Grand, au commencement du dix-huitième siècle, le czar se fit chef de l’Église, comme la chose existe en Angleterre, et le patriarche et le synode furent subordonnés à son pouvoir. La dernière guerre avec la Russie eut pour son premier prétexte les droits respectifs des Grecs et des Latins sur les lieux saints de la Palestine, comme on les appelle.

4.5   [La Réforme]

Voilà ce qu’on nomme la Chrétienté et l’Église. Mon but n’est pas d’en poursuivre l’histoire, ni d’entrer plus avant dans les détails. Par un effet de la grande et précieuse miséricorde de Dieu, la Réformation tira la Bible de l’obscurité et annonça la justification par la foi, tout en délivrant plusieurs contrées du joug de la papauté. Mais elle laissa dans toutes les Églises nationales le germe du système de la régénération baptismale, dont très incontestablement elle ne fut pas débarrassée ; elle y laissa aussi la notion d’un droit clérical exclusif au ministère, qui est la dénégation de la souveraineté et de l’oeuvre du Saint Esprit en tant que se continuant encore dans la régénération et dans le don. Et quoique plusieurs personnes, en très grand nombre, se soient dégagées de la première erreur, et que nous voyions à l’oeuvre, à l’heure qu’il est, une énergie admirable qui travaille à délivrer de la seconde ; cette énergie travaille à la destruction du système d’Églises nationales issu de la Réformation et qui était entièrement inconnu jusqu’à elle. Le vin nouveau ne peut être mis dans de vieux vaisseaux.

Il ne me reste qu’à signaler rapidement ce qui ressort de ce rapide coup-d’oeil.

5                    [Résumé - Conclusion]

5.1   [Les points principaux sur la doctrine de l’Église, chez les Pères et dans les églises]

Ce qui précède est, de fait, l’histoire de la grande maison [2 Tim. 2:20] et, sur la fin, dans ses formes les plus tristes et les plus affreuses. Ce n’est certainement pas, l’histoire du corps de Christ. Néanmoins, c’est bien le corps de Christ, que le papisme, dans sa pire forme, a la prétention d’être et même d’une façon exclusive. Voilà ce qu’a amené l’erreur de confondre le bâtiment de Dieu sur la terre, placé sous la responsabilité de l’homme (1 Cor. 3), avec le corps, composé de membres vivants, uni à Christ. Nous avons vu que lorsque les Pères insistaient sur l’unité, c’était toujours par un motif intéressé, et en vue de leur position particulière. D’abord, avec Ignace, c’est l’unité d’une assemblée locale avec son évêque ; la pensée épiscopale n’allait pas plus loin alors. Ensuite, quand eut lieu l’irruption des hérétiques, l’uniformité des sièges apostoliques dans la doctrine servit à prouver l’apostolicité de la doctrine tenue par tous ; et comme la vérité prouvait l’Esprit et l’Église, les hérétiques ne pouvaient être l’Église puisqu’ils n’avaient pas la vérité. Il faut remarquer toutefois, la forme de cette argumentation, car elle est parfaitement l’opposé de l’argumentation des catholiques romains : ceux-ci prouvent la vérité par l’Église, tandis que l’école d’Irénée et de Tertullien prouve l’Église par la possession de la vérité. Ces pères trouvent la vérité dans l’Écriture, ou bien dans la doctrine non-interrompue des sièges apostoliques, en tant que fait. Mais ce fait n’existe plus aujourd’hui ; car Rome a fait des changements et des additions en des sujets importants, comme l’addition du filioque dans la doctrine de la procession, le changement des prières pour les morts en prières aux morts, l’addition du purgatoire et plusieurs autres choses semblables. Et pour ce qui est des deux autres sièges apostoliques, Alexandrie et Antioche, ils sont monophysites, c’est-à-dire, ne reconnaissent en Christ qu’une seule nature.

Mais reprenons. À cette époque, si l’on s’occupait de l’Église ce n’était que pour maintenir sa position contre l’hérésie. Dans la controverse suivante, ce fût pour la maintenir contre le schisme, et défendre les droits communs à tous les évêques, contre le schismatique Novatien d’un côté, et contre l’arrogance des papes de Rome de l’autre. Ce fut l’école de Cyprien. Ce fut en partie celle d’Augustin contre les Donatistes ; mais le sentiment personnel qu’il avait de la vérité divine opéra une confusion totale, et le conduisit à l’invention d’une Église invisible connue de Dieu.

Après cela, ce ne fut plus qu’un combat, d’abord pour la destruction de la puissance oligarchique du corps des évêques par le pouvoir patriarchal, et ensuite pour la prééminence entre Rome et Constantinople. Comme je l’ai fait remarquer déjà, il en résulta une Église catholique romaine. Mensonge en fait, comme ç’en est un dans le sens des mots. Car l’établissement du pape comme chef suprême sur les Églises (et cela par la puissance impériale), position à laquelle Constantinople avait entrepris de s’élever, occasionna une rupture complète ; et l’Église, en tant que corps extérieur, cessa d’être catholique, partout où Rome entrepris de la rendre catholique romaine. Elle fut divisée en deux vastes camps : le camp romain et le camp grec ; le romain, à la vérité, le plus considérable, mais dépendant, après tout, des chefs de l’Occident, comme le grec des chefs de l’Orient ; et maintenant incapable même de se vanter de la supériorité du nombre, car la séparation protestante a rendu le nombre des chrétiens de profession qui sont en dehors du giron romain plus considérable que ceux qui se trouvent dans ce giron. Rome possède exclusivement une seule chose, la prétention apostate à la puissance, pendant qu’elle met de côté l’unique suprématie de Christ et qu’elle s’oppose à la Parole de Dieu qu’elle falsifie ; mais cela est tout.

5.2   [Situation respective de la vérité et de l’erreur]

Mais notre affaire, c’est la doctrine. Ici, remarquez une autre chose. Personne ne s’occupait du développement béni de la vérité touchant l’Église. Quelques-uns se servaient bien de l’idée attribuant ses privilèges au corps extérieur, la maison (et les niant par cela-même, car c’est un non-sens que de parler de membres de Christ méchants), et ils citaient quelques passages de l’Écriture qui s’y rapportent ; mais ce n’était que comme moyen de réfuter leurs adversaires. Nul, que je sache, ne saisit jamais les bénédictions particulières à l’Église pour les développer ; ils marchaient par la vue ; leurs regards contemplaient ce qui avait été fondé sur la terre. À la vérité, c’était la chose importante, le grand fait de l’intervention souveraine de Dieu dans le monde, ce qui lui appartenait sur la terre, Sa vigne, Son bâtiment. Mais comme ils ne distinguaient pas le corps d’avec la maison ; cette dernière, qui était la chose visible, était seule devant leurs yeux. Il en résulta d’abord qu’on admit la possibilité du mal dans le corps de Christ, ce qui obligea les hommes à marcher avec le mal d’une manière continue et à le sanctionner ainsi pratiquement, ou bien les força de rompre avec le corps ; et, en second lieu, qu’on attribua au mal lui-même le titre à la puissance divine et spirituelle ; tout cela sous le prétexte que l’Église était le corps de Christ, que si vous n’en étiez pas membre, vous ne pouviez posséder la Tête. Le salut ne se trouvait que là. Ceci était vrai ; mais il n’est point vrai qu’ils sont ce corps, ou que Christ a des membres morts. De plus, le baptême fut tenu pour être, en tant qu’introduction dans l’assemblée de Christ (ce qu’il est effectivement), ce par quoi nous devenons membres de Christ et enfants de Dieu. Ainsi pensent les romanistes, ainsi pensent les protestants orthodoxes, ainsi même pensent en général les baptistes. Mais le baptême n’a rien à faire, même comme figure, avec l’unité du corps ou l’admission dans le corps. Même dans sa signification figurée, il ne va pas au-delà de la mort et de la résurrection ; tout ce qu’il implique, c’est le passage individuel à la nouvelle vie et la mort à l’existence d’Adam, tandis que l’unité du corps dépend de l’exaltation de la Tête dans le ciel. C’est après avoir été exalté, et pas jusqu’alors, ainsi qu’Il le déclarait lui-même : «Si je ne m’en vais, le consolateur ne viendra point» que Jésus, la Tête, a envoyé le Saint Esprit ; et c’est par un seul Esprit que nous sommes tous baptisés pour être un seul corps. Comme Pierre le dit à ses auditeurs dans les Actes : «Étant donc exalté par la droite de Dieu et ayant reçu de la part du Père le Saint Esprit promis, il a répandu ce que maintenant vous voyez et entendez». C’était là le baptême de l’Esprit, comme nous le voyons Act. 1:5 ; et c’est de cette manière, par un seul Esprit, que nous sommes tous baptisés pour être un seul corps. Dans ce corps se trouvent des membres dans lesquels l’énergie de l’Esprit se déploie en dons variés (1 Cor. 14:11-14). L’Esprit n’habite pas dans le corps, mais dans la maison : «édifiés ensemble pour être une habitation de Dieu par l’Esprit». Les pierres ne sont pas, comme telles, membres de Celui qui demeure dans le bâtiment. Tout cela était confondu par les Pères.

La conséquence a été les prétentions du papisme et la confusion protestante, quant à la régénération baptismale et au caractère de membres de Christ : deux points avec lesquels le baptême n’a rien à faire.

Nous avons signalé cet autre terrible résultat, que le mal était reconnu comme rattaché à Christ. L’Église est l’arche ; hors d’elle, point de salut. Les animaux impurs sont dans l’étage d’en bas ; comme Noé, Christ est en haut. C’est la doctrine d’Origène et de Clément. Dans une grande maison, il y a des vaisseaux à déshonneur de bois et de terre [2 Tim. 2:20] ; mais, par une rare confusion de la pensée et de la doctrine des Écritures, Christ à sa venue, les brûlera ou les brisera. C’est l’idée de Cyprien. L’ivraie est mêlée avec le froment dans l’Église : voilà Jérôme et le Protestantisme. Jusqu’à ce que, à la fin, la corruption devint si grande, que, selon les paroles d’Augustin, on gémissait de voir des multitudes de méchants entourer l’autel de l’Église ; il faut les y laisser. La ressource de son esprit, c’est la prescience prédestinatrice de Dieu et une Église invisible. Il y a hors de l’Église bien des personnes meilleures que celles qui sont dedans, mais Dieu y mettra ordre. On est uni d’une manière invisible par le lien de la charité, tandis que ceux qui sont dedans par le fait extérieur, n’ont pas de lien réel. Telle est souvent aujourd’hui la ressource du Calvinisme rigide : il acquiesce à l’établissement officiel, il acquiesce au mal, par la raison que Dieu arrangera tout comme il faut. La conscience oblige d’être schismatique dans la forme, lorsque la corruption et le mal caractérisent ce qui porte le nom de corps de Christ ; et la séparation d’avec la masse générale de la chrétienté, met en péril la stabilité de l’âme et sa foi en quelque unité, et souvent aussi fait qu’on y est contraire parce qu’on ne voit pas la maison, ce qui expose à une doctrine insensée, et à des associations hérétiques.

 

Telle est, hélas ! l’histoire de l’Église et la marche du dogme à son sujet, sous les exercices produits par l’état des choses en rapport avec la théorie qui avait cours. Si l’assemblée extérieure était, en effet, le corps de Christ, s’en séparer, c’était le schisme, et aussi loin que portait l’acte de l’homme, la ruine ; mais la véritable union des membres avec la Tête n’était pas connue. Si l’assemblée extérieure n’était rien, alors toute responsabilité collective était détruite ; et il ne pouvait y avoir lieu au jugement du méchant serviteur. Il n’y avait pas pour la chrétienté de responsabilité collective, découlant du don fait du Saint Esprit à l’assemblée sur la terre. La conscience spirituelle ne pouvait pas non plus reconnaître la corruption comme le véritable corps de Christ. Quelques-uns voulaient réformer, d’autres séparer ; et l’idée même de l’unité de l’Église était, ou perdue d’un côté, ou considérée comme parfaitement compatible avec la plus grossière corruption et la puissance de Satan, de l’autre. En même temps, ce qui était ainsi corrompu portait le nom de corps de Christ, et on prétendait rattacher l’autorité divine à l’administration de cette corruption. La notion d’une église invisible fut inventée pour concilier la conscience spirituelle avec un état de chose pareil. L’Écriture prédit la chute de l’Église, elle la raconte même et prédit qu’elle deviendra pire encore, elle annonce la corruption et des temps fâcheux ; elle parle enfin d’apostasie. Mais elle ne parle jamais d’un corps de Christ corrompu. Elle ne nie pas un état général de choses corrompu, qu’elle compare à une grande maison ; et elle recommande de se purifier des vaisseaux à déshonneur, et de marcher avec ceux qui invoquent le Seigneur d’un coeur pur. Elle parle d’un édifice de Dieu selon ses desseins, et qui l’est, de fait, au commencement et à la fin ; mais elle parle avec autant de clarté de la responsabilité de l’homme en tant que travaillant à l’édifice. La confusion actuelle n’est pas une difficulté pour quiconque a l’Écriture dans ses mains et dans son coeur, et reconnaît son autorité. La Parole de Dieu présente tout avec clarté : le corps uni à sa Tête céleste dans une assurée et très riche bénédiction, la corruption nettement décrite et jugée, et, au milieu du mélange auquel on doit s’attendre dans une grande maison, un sentier clair et net pour la droiture, l’obéissance et la pureté de la marche. La maison, comme elle devait être, bien réglée, colonne et soutien de la vérité (1 Tim. 3) : et quand elle est remplie de vaisseaux à déshonneur, en tant que grande maison, le commandement positif de se séparer du mal et de ces vaisseaux (2 Tim. 2). Le lecteur remarquera que c’est dans cette dernière épître, quand il est parlé de la maison dans ces termes, que la Parole de Dieu, les Écritures, sont présentées avec insistance, comme le sûr et efficace refuge de l’âme, dans les temps fâcheux de la chrétienté corrompue.

 

6                    [Détails sur l’état de l’Église primitive]

6.1   [Sur le plan de la doctrine]

J’ajoute comme un triste mais utile appendice quelques faits relatifs à l’Église primitive tant vantée.

D’abord, pour ce qui concerne la doctrine, l’exposé que j’ai donné des idées d’Hermas, dont l’ouvrage était lu dans beaucoup d’églises, est cité par Irénée, et était cru inspiré par Origène, est la preuve la plus manifeste de la grossière ignorance de l’Église primitive et de son incompétence complète pour juger de la doctrine.

Mais, en outre, la doctrine des Pères antérieurs au concile de Nicée, n’est rien moins que [= n’est pas du tout] satisfaisante sur la divinité de Christ. Justin nie absolument que le Dieu suprême, créateur, puisse apparaître comme un homme dans ce monde ; et quiconque les connaît un peu ne saurait nier qu’ils professaient en général, quoique pas sans exception, la doctrine que jusqu’au moment où la création eut lieu, Christ n’avait pas d’existence distincte en tant que personne, suivant que l’expriment les mots endiathétos et prophorikos. Par suite de leur désir de profiter des idées païennes et de l’influence qu’exerçait la philosophie de Platon, leur enseignement sur le Logos, ou la Parole, et sur ce que le mot Trinité exprime, est extrêmement vague et prête à beaucoup d’objections, pour dire le moins. Mais si sur un point aussi fondamental, qui est la vérité elle-même et le fondement de toute vérité, la personne du Seigneur Jésus-Christ en un mot, la doctrine des Pères est relâchée et corrompue, sur quel sujet pouvons-nous nous confier en eux ? L’un considère le jugement dernier comme le moyen de purifier ceux qui sont imparfaits, et Augustin regarde la Cène du Seigneur comme un acte d’action de grâces pour les bons, comme faisant propitiation pour les méchants, et, quoiqu’elle ne puisse pas être utile aux méchants morts, comme une consolation pour les vivants (c’est-à-dire qu’elle les trompe). Il dit, ailleurs, qu’elle peut adoucir leurs peines dans l’enfer. Quant à la grâce de Dieu, on la connaissait à peine parmi eux.

Le lecteur voudra bien se souvenir que ce n’est pas des âmes, ou de leur foi personnelle, que je parle, mais bien des docteurs comme tels. Personne n’est aussi peu digne de confiance sur toute doctrine fondamentale, que la masse de premiers pères.

6.2   [Sur le plan des moeurs]

Relativement à la pratique, voici le tableau que dans son traité, De lapsis, Cyprien nous trace des moeurs des chrétiens, environ deux cents ans après Christ, pendant que l’empire était encore païen. Il dit qu’ils furent dans la persécution l’objet d’une dispensation miséricordieuse, en sorte que ce n’était pas une persécution, mais une investigation, une épreuve de leur conduite (exploratio), et qu’il ne fallait pas s’aveugler sur les causes. Là-dessus, il se met à décrire l’état de l’Église :

Les individus s’appliquaient à augmenter leur patrimoine, et entièrement oublieux à la fois de ce qu’on avait fait du temps des apôtres et de ce qu’on doit toujours faire, ils ne tendaient, avec une ardeur d’avarice insatiable, qu’à accroître leur fortune. Point de piété dans les prêtres ; point d’incorruptible fidélité dans les ministres (les diacres) ; point de charité dans les oeuvres ; point de règle dans les moeurs. La barbe arrachée parmi les hommes (*) ; le visage peint chez les femmes ; les yeux tout changés de ce que Dieu les a faits (post Dei manus) ; les cheveux colorés de mensonge ; des fraudes subtiles pour tromper le coeur des simples ; une volonté perfide pour circonvenir les frères. Les liens du mariage contractés avec des incrédules ; les membres du corps de Christ prostitués aux païens. Non seulement des jurements téméraires, mais même le parjure, le mépris orgueilleux et hautain des supérieurs, les méchantes conversations de lèvres empoisonnées, les discordes réciproques d’une haine invétérée. Beaucoup d’évêques, qui devraient être une exhortation et un exemple pour les autres, au mépris de leur commission divine, se chargent d’affaires séculières, quittent leurs sièges et, abandonnant le peuple, errent à travers les autres provinces, courent les foires et les marchés et trafiquent pour le gain. Point de secours dans l’Église pour les frères pauvres, désir de posséder beaucoup d’argent ; insidieuses pratiques pour avoir des biens ; augmentation de l’intérêt par une usure multipliée…. Tel est le tableau que nous a laissé des moeurs des chrétiens un évêque, qui vivait au milieu d’eux.

(*) Je dis arrachée à cause que dans Ad Quir. III, 84 (Textimoniorum) il rend par vellendam ce qui dans la texte sur Lév. 19:27, est corrumpantur, comme ici.

Je puis y ajouter le récit que fait Augustin des fêtes des saints sous les empereurs chrétiens. Il s’était opposé avec beaucoup de piété et de courage, à ce que les gens vinssent à l’église ivres ; il avait prêché contre ce scandale en présence d’un petit nombre, et sa prédication avait excité de grands murmures dans la masse du peuple. Leurs pères, disait-on, étaient d’excellents chrétiens et ils agissaient ainsi ; pourquoi aujourd’hui y mettrait-on obstacle ? Augustin insistait auprès d’eux sur les préceptes chrétiens et il ajoute : Cependant, de peur qu’il ne semblât que nous faisions peser quelque reproche sur ceux qui, avant notre époque, ont toléré, ou n’ont pas osé interdire ces crimes manifestes d’une multitude ignorante, je leur exposai par quelle nécessité ces choses semblaient avoir surgi dans l’Église ; savoir qu’après de si nombreuses et si violentes persécutions, la paix étant arrivée, de peur que les multitudes de païens qui désiraient se placer sous le nom chrétien, n’en fussent empêchées par le fait qu’elles avaient coutume de célébrer les jours de fête de leurs idoles par des festins abondants et dans l’ivrognerie, et qu’elles ne pourraient pas s’abstenir aisément de leurs pernicieuses et très anciennes habitudes, il avait paru convenable à nos ancêtres de condescendre en cela à leur infirmité ; et à la place des jours de fête abandonnés, d’en établir d’autres en l’honneur des saints martyrs, dans la célébration desquels ne se trouverait pas le même sacrilège, quoiqu’il s’y trouvât la même intempérance. Et il montre ensuite comment on espérait en les attachant à Christ, les sevrer par des préceptes, de telle sorte qu’ils fussent capables de rejeter, après être devenus chrétiens, ce qui leur avait été accordé pour leur permettre de le devenir (Aug. Litt. ad Alypium, XXIX, éd. Ben.).

Il est difficile de dire ce qui est le plus triste, du fait, ou de l’excuse qu’en donne Augustin. Ce fut bien cependant le véritable motif, comme nous en voyons la preuve en Angleterre dans les instructions données par le pape Grégoire pour que, dans la conversion des Saxons, on agit d’après ce principe. Voyez par ex. (Lib. IX, Epist. 71) sa recommandation à Mellitus qui allait en Bretagne.

Cette manière d’établir des fêtes de saints ne fut pas simplement une chose locale. Noël fut fixée à la fête des Saturnales (mot devenu technique pour exprimer une licence sans frein), parce qu’on ne pouvait pas l’abolir, et qu’on voulut la christianiser ! (*) Le jour de la purification fut substitué aux Lupercales, qui avaient ce caractère, et ainsi des autres.

(*) On ne sait dans quelle saison de l’année eut lieu la naissance de Christ. Il y a quelque petite probabilité, par suite de la mention du rang d’Abia, que ce fut en automne. L’Église grecque la célèbre le jour de l’Épiphanie.

Voici, d’après Eusèbe, l’état de l’Église qui amena les persécutions qui précédèrent son temps : les conducteurs furieux contre les conducteurs, et les gens en luttes tumultueuses les uns avec les autres ; enfin, une hypocrisie impossible à rendre et la dissimulation, parvenues au plus haut degré. Alors, dit-il, le jugement divin commença avec mesure, comme il prend plaisir à faire, et d’abord par l’épreuve parmi les soldats. Mais quand on en fut venu à agir comme des athées ; quand on eut ajouté une méchanceté à l’autre ; quand nos pasteurs les plus estimés, au mépris du lien de la piété, s’embrasèrent en dispute les uns avec les autres, croissant seulement en débats, en menaces, en jalousie, en inimitié et haines les uns contre les autres : alors, dit-il, selon la parole de Jérémie, la pleine marée de l’épreuve fit irruption. Telle était l’Église primitive du troisième siècle.

Jérôme nous apprendra s’il y eut quoique amélioration lorsque l’empire devint chrétien. Voici ce qu’il dit du clergé : Valentinien avait rendu une loi pour défendre au clergé de gagner des héritages en veillant au lit de mort des personnes qui possédaient des biens. Ici, Jérôme rend compte de l’état des choses. Il déclare qu’il ne se plaint pas de la loi, mais de ce qu’elle a été nécessaire. Elle manifeste réellement, comme toutes les lois le font, un état de choses devenu général. «La précaution de la loi est prévoyante et sévère ; néanmoins, elle ne suffit pas pour réprimer l’avarice. Nous nous moquons des lois au moyen des dépôts ; et comme si les décrets des empereurs étaient plus grands que ceux de Christ, nous redoutons les lois et nous méprisons les Évangiles. C’est la honte de tous les prêtres de faire de leur fortune leur objet d’étude. Moi qui, né dans une pauvre maison ou une chaumière rustique, pouvais à peine, satisfaire aux cris de mon ventre avec du millet et du pain grossier, je fais maintenant le délicat pour la fine farine et le miel ; je connais les espèces et les noms des poissons ; je sais sur quel rivage se trouve le poisson à coquille ; je distingue les provinces par la saveur des oiseaux, etc. De plus, j’entends parler de l’ignoble service de quelques-uns auprès de vieillards et de vieilles femmes sans enfants».

Il décrit ensuite, dans un langage qui serait très désagréable à traduire, les dégoûtantes attentions serviles du clergé à côté du lit des malades, et il poursuit en ces termes : «Ils tremblent à l’entrée du médecin, et avec des lèvres qui bégaient, ils s’informent si les malades vont mieux ; et si le vieillard a un peu plus de force, ils se sentent eux en danger, et tout en simulant la joie, leur coeur avare est à la torture au-dedans, car ils redoutent de perdre leurs peines et ils comparent le vigoureux vieillard aux années de Méthuséla» (Ep. LII ad Nepotianum).

À la même époque, Augustin se plaint que, de son temps, si quelqu’un voulait vivre d’une manière pieuse il était un objet de moquerie, non pas seulement de la part des païens, mais de la part des chrétiens de profession. Il se plaint que le diable eût envoyé de tout côté tant d’hypocrites en habits de moines, qui n’étaient envoyés nulle part, n’étaient fixés nulle part, ne se tenaient nulle part ; d’autres qui colportaient de lieu en lieu des membres de martyrs, si toutefois ils avaient appartenu à des corps de martyrs, etc ...., tous réclamant les frais d’une indigence lucrative, ou le salaire d’une prétendue sainteté.

Ces extraits suffiront pour donner une idée de l’état de ce qu’on appelle l’Église primitive. Des recherches plus étendues ne feraient que rendre l’évidence plus grande, et pour ce qui regarde la doctrine, d’une manière qui ne pourrait qu’affliger profondément tout esprit sobre et pieux. Cc n’est point une preuve qu’il n’y avait pas alors de piété cachée, ni de foi véritable ; mais il en résulte que l’autorité des monuments que nous possédons de la primitive église, est moins que rien en fait de doctrine, et que quant à la pratique en général, dans le clergé comme parmi les laïques, elle était une honte pour le nom de Christ.

Ce que j’ai donné, dessine ses traits fidèlement. Tout ce que je désire, c’est que la conscience de mes lecteurs sache ce qu’était l’Église primitive, et que le son spécieux d’un titre ne lui fasse plus illusion. Il n’a pas existé d’époque où il y ait eu si peu d’orthodoxie que dans celle qui précéda le concile de Nicée, à l’exception de celle où l’arianisme fut universel, sous le règne de Constance et de quelques autres empereurs. L’Église catholique, le pape, et tout le monde, tournaient autour de l’empereur, pareils à une girouette ; Athanase mourut condamné par le concile de Tyr, et Arius dans la communion de l’Église universelle : seulement, la nuit qui précéda le jour où il devait prendre sa place, il périt, par le jugement de Dieu disent ses adversaires, par le poison prétendent ses amis.

 

7                    [L’élaboration du dogme de la suprématie papale]

J’ajoute une courte note relative à l’époque de l’élaboration du dogme de la suprématie papale, à laquelle il est renvoyé dans le cours de cet écrit. Le premier qui, au milieu de beaucoup de vague déférence et de vague admission de la diversité de rangs, fait du pape, d’une façon formelle, le seul et unique centre d’unité, c’est Optatus de Milève. Dans son second livre (*) (n’ayant pas ses oeuvres sous la main, je cite d’après les Centuries de Magdebourg), il s’exprime ainsi : «La chaire épiscopale fut d’abord conférée à Pierre dans la ville de Rome, et il s’y assit comme tête de tous les apôtres ; de là aussi il fut appelé Céphas, comme étant celui en qui seul l’unité de la chaire devait être gardée par tous. Aussi les apôtres ne prétendent-ils pas à une chaire chacun (singulas sibi quisque) ; de sorte que quiconque en établirait une autre en opposition à la seule et unique qu’il y ait, serait un schismatique et un pécheur». Mais il dit cela en opposition au schisme des Donatistes.

(*) Je ne cite pas le septième, quoiqu’il y soit fait allusion au sujet, parce que l’authenticité en est plus que douteuse. Néanmoins, il est incontestablement fort ancien.

Au temps d’Augustin, quand les synodes d’Afrique eurent condamné les Pélagiens, ils envoyèrent leurs décrets à Rome comme à l’ordinaire. Dans sa réponse, Innocent 1er leur dit qu’ils avaient par là manifesté un sentiment convenable de la soumission qui est due au siège apostolique, duquel toute l’autorité épiscopale découlait et doit découler toujours, comme de la seule et unique fontaine-chef, pour fertiliser tout le monde par ses divers ruisseaux. Il avait, ajoutait-il, condamné de son autorité propre ces hérésies et avait retranché de l’Église leurs auteurs. Cependant, le pape qui lui succéda, Zozime, approuva les propositions de Pélage comme elles lui furent envoyées de Palestine, et condamna tout ce que l’on avait fait précédemment contre lui. Mais, par l’influence d’Augustin, l’an 418, un concile de Carthage condamna et anathématisa Pélage, et décréta que si quelqu’un avait la prétention de faire appel au-delà de la mer (c’est-à-dire à Rome), nul ne le reçût à la communion. L’empereur, à qui on envoya, condamna Pélage et le bannit de Rome. Zozime alors condamna aussi ce qu’il avait approuvé, et les Africains étant satisfaits, Zozime réclame comme auparavant la juridiction universelle de Pierre, et tout continue doucement. Augustin déclare d’une manière expresse, dans son Traité sur l’Évangile de Jean, que Christ était le rocher sur lequel l’Église était bâtie, le rocher que Pierre avait confessé. Ailleurs, dans ses Rétractations, si je ne me trompe, il dit qu’on peut l’entendre autrement, si on le préfère.

Léon, homme capable, unit les deux pensées d’une façon très adroite. Je cite pour donner une idée de la manière dont les prétentions romaines étaient mises en avant dans son siècle. «Car la solidité de cette foi, qui est louée dans le prince des apôtres, est perpétuelle ; et comme ce que Pierre a cru concernant Christ subsiste toujours, de même ce que Christ a institué en Pierre demeure toujours». Alors il cite en entier Math. 16:16, et continue : «La disposition de la vérité demeure donc ; et le bienheureux Pierre, persévérant dans la force du rocher qu’il a reçue, n’a pas abandonné le gouvernail de l’Église dont il a été chargé. Car il est ainsi placé devant les autres, afin que, par son nom de rocher (petra), par son caractère de fondement, par sa position de portier du royaume des cieux, son titre d’arbitre de ce qu’il faut lier et délier, ce que ses jugements déterminent devant être ratifié dans les cieux, nous puissions connaître, au moyen des mystères mêmes de ses titres, quelle est son association avec Christ pour administrer maintenant, d’une manière plus parfaite et plus puissante, les choses qui lui avaient été confiées, et s’acquitter de chaque partie de ses devoirs et de ses soins en Celui et par Celui par lequel il a été glorifié. Si donc nous faisons comme il faut et discernons comme il faut quelque chose ; si nos supplications journalières obtiennent quelque chose de la miséricorde de Dieu, c’est en vertu des oeuvres et des mérites de celui dans le siège duquel son pouvoir vit et son autorité est prééminente. Car, bien-aimés, cette confession qu’inspira le coeur de l’apôtre par Dieu le Père, s’éleva au-dessus de toutes les incertitudes des opinions humaines, et reçut la fermeté d’un roc qu’aucune secousse venue de là ne saurait ébranler. Car, dans l’Église universelle Pierre dit chaque jour : «Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant». Cette foi triomphe des démons» etc. (Serm. III). Et encore sur l’Assomption de Pierre (Serm. IV) : «Tous sont rois par le signe de la croix, tous consacrés prêtres par l’onction du Saint Esprit, etc. Mais Pierre fut choisi… afin que, quoiqu’il y ait dans le peuple de Dieu beaucoup de prêtres et beaucoup de pasteurs, Pierre néanmoins, en vertu d’un titre lui appartenant en propre (proprie), gouvernât tous ceux que Christ aussi gouverne comme chef et souverain (principaliter) ; grande et merveilleuse communauté (consortium) de son pouvoir, bien-aimés, que l’estimation divine (dignatio) a conférée à cet homme ; et si elle a voulu que quelque chose fût commun aux autres chefs et à lui, elle n’a jamais accordé que par lui tout ce qu’elle ne refusait pas aux autres». Il cite de nouveau, Matth. 16, qu’il commente ainsi : «Comme je suis le rocher inviolable, Moi, la pierre de l’angle qui de deux choses en fais une seule, Moi, le fondement outre lequel personne n’en peut poser d’autre, néanmoins, toi aussi, tu es un rocher (petra), identifié avec ma vertu (c’est-à-dire ma puissance et ma force, comme on dit vertu d’une médecine, d’une plante), afin que les choses qui sont propres à mon pouvoir te deviennent communes par ta participation avec moi» (Voir aussi Serm. LXII, XI de pass. Dom). Enfin (Epist. X ad Episcopos per provinciam Viennensem constitutos) : «Mais le Seigneur a voulu que le mystère de cette fonction appartint à l’office de tous les apôtres, en tant que placée d’abord et principalement (principaliter) dans le bienheureux Pierre, tête de tous les apôtres, et exprimant ainsi sa volonté que de lui, comme d’une espèce de tête, ses dons découlassent dans le corps, afin que quiconque oserait se retirer de la solidité de Pierre, comprit qu’il n’avait point de part dans le mystère divin. Car il Lui a plu (à Christ) que celui qu’Il prenait dans la communion (consortium) de son unité individuelle fût appelé ce qu’Il était, Lui, disant : «Tu es Pierre» etc., afin que, par un merveilleux don de la grâce de Dieu, l’édifice du temple éternel reposât sur la solidité de Pierre, fortifiant Son Église par cette fermeté, de sorte que la témérité humaine ne pût pas l’atteindre et que les portes de l’enfer ne pussent pas prévaloir contre elle.

Je termine ici ma note. Pour tout chrétien, la place donnée à Pierre parle pour elle-même. Il serait superflu de pousser plus loin l’examen des prétentions du papisme quant à la doctrine ; je n’ai rien à faire ici avec son influence politique, et j’ai donné suffisamment son histoire. Un sujet de recherches très intéressant, mais fort difficile, en rapport avec cette esquisse, serait d’examiner jusqu’à quel point les opérations de la lumière divine et de la conscience se liaient à quelques-uns des mouvements hérétiques des divers âges, quoique la ruse de Satan eût gâté et corrompu le mouvement de ces âmes téméraires. Cet intérêt s’appliquerait aux diverses sectes comme on les appelle, qui s’élevèrent à partir du sixième siècle autant pour le moins qu’aux divers corps hérétiques qui surgirent dans les premiers. Mais les faits sont très difficiles à apprécier et même à établir, et il faut passer au crible la plus grande partie des témoignages comme provenant d’adversaires. Prendre, par exemple, comme cas manifestes, Tertullien et les Pauliciens.